Le Pacte Brisé
Il y avait dans le silence du matin une étrange densité, comme si l’air retenait son souffle. Le sanctuaire semblait figé dans une attente douloureuse. Chaque pierre, chaque arc, chaque couloir contenait l’écho d’une fracture.
Nael se tenait immobile devant la fontaine rouge. L’eau ne bougeait plus, figée comme le sang d’un cadavre ancien. Son reflet ne lui répondait pas. Il avait crié jusqu’à l’épuisement, sans rien briser d’autre que sa voix.
Et Lena, toujours tapie dans l’ombre, le regardait. Silencieuse. Trop silencieuse.
— Tu es venue me briser, dit-il sans la regarder. Pas pour moi. Pour elle.
— Non. Je suis venue pour nous.
Il se retourna lentement. Son regard n’était plus doux. Il était dur, lucide.
— Il n’y a pas de “nous”. Il n’y a plus de “toi et moi”. Tu n’as fait que jouer avec les failles.
Elle esquissa un sourire, mais il était las, presque triste.
— Tu ne vois pas ? Je suis ta vérité, Nael. Celle que tu refuses. Aeliana t’aime parce qu’elle croit en ce que tu pourrais être. Moi je t’aime pour ce que tu es. Instinct. Fureur. Chair.
— Je ne suis pas un monstre.
— Non. Mais tu l’as été avec moi. Et tu l’as aimé.
Il ne répondit pas. Il savait qu’elle n’avait pas tort. Il l’avait désirée dans l’instant. Ce n’était pas une excuse. C’était une cicatrice.
— Si tu l’aimes, va la chercher, dit Lena. Mais sache ceci : le Cercle Rouge est déjà en mouvement. Calien a parlé. Ta présence ici est une hérésie. Une faille. Ils veulent te juger.
— Et toi, que veux-tu ?
Elle s’approcha, posa sa main sur son torse.
— Survivre.
Puis elle se détourna, laissant derrière elle un parfum de cendres.
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Aeliana gravit les marches du Temple de l’Est, celui que plus personne n’habitait. C’était là que sa sœur avait été sacrée. Là aussi qu’elle était morte.
Chaque marche résonnait comme une sentence. L’air y était plus froid. L’ombre plus dense.
Elle entra dans la salle du trône. Vide. Sauf une chose : un miroir ancien, fendu en son centre. Ce miroir, c’était leur reflet à deux.
Elle y vit sa sœur. Elyra. Majestueuse. Dangereuse.
— Tu reviens enfin, souffla l’écho.
— Je viens pour comprendre.
— Non. Tu viens pour demander pardon.
Aeliana posa la paume sur le verre fendu.
— J’ai fait ce qu’il fallait.
— Tu as aimé un monstre. Tu l’a nourri. Tu as voulu croire qu’un cœur pouvait remplacer le sang.
— Et pourtant, je le sens. Il bat encore. Pour moi.
Le reflet se troubla. Le murmure s’éteignit. Et dans le silence, Aeliana se sentit seule.
Terriblement.
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Le Conseil du Cercle Rouge se réunit le soir même. Une convocation exceptionnelle. Les flammes dansaient autour de la Table Sanguine, où siégeaient les plus anciens.
Calien ouvrit la séance.
— Une faille s’est ouverte dans notre sanctuaire. Une liaison interdite. Un hybride admis dans nos murs. Et une Gardienne qui a failli.
Les murmures s’élevèrent. Aeliana se tenait droite, au centre du cercle. Elle portait la cape noire des accusés. Ses cheveux étaient tressés selon le rite du Jugement. Elle ne tremblait pas.
— J’ai fait ce choix en pleine conscience, dit-elle. Nael n’est pas un danger. Il est un pont. Un espoir.
Un ricanement s’éleva.
— Ou une arme que tu crois contrôler, dit une voix à droite. Il porte en lui la Meute Noire et ton propre sang. Il est instable.
— Comme nous tous. Comme l’a été Elyra.
Un frisson parcourut l’assemblée.
— Ne prononce pas ce nom, dit Calien. Elle était reine. Tu n’es qu’une usurpatrice.
— Elle est morte de sa propre volonté. Elle voulait le chaos. J’ai choisi la paix.
— Alors prouve-le, dit une autre voix. Tue le bâtard. Et peut-être que nous oublierons.
Aeliana sentit sa gorge se nouer.
— Je ne le tuerai pas.
Silence. Puis Calien déclara :
— Alors tu porteras seule la conséquence de ta faiblesse. À l’aube, tu seras bannie. Et lui, livré à Lena.
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Nael se tenait près de la grande verrière, regardant la lune s’effriter entre les nuages. Il ne savait plus où aller. Le sanctuaire n’était plus un refuge. Juste une cage.
— Tu vas fuir ? demanda une voix familière.
Il se retourna. Aeliana.
— Ils veulent ta mort, dit-elle sans détour. Et la mienne.
— Je sais.
Elle s’approcha. Il vit qu’elle avait pleuré. Ce détail le brisa davantage que la morsure de Lena.
— Je suis désolée, dit-il. Pour tout.
Elle ne répondit pas. Elle posa juste sa main sur son torse. Là où la morsure vibrait encore.
— Ils veulent me bannir. Et te livrer à elle.
— Alors on part.
Elle le regarda, surprise.
— Tu veux partir avec moi ?
— Je ne sais pas ce que je suis. Mais je sais ce que je ne veux pas devenir. Je ne veux pas devenir comme eux.
Un silence doux. Chargé de cette chose qui résiste au poids du monde : la décision d’aimer malgré la peur.
— Il y a un endroit, dit-elle. Une forêt oubliée. Là où les anciens vampires déposaient leurs serments. Si nous l’atteignons, peut-être que le Pacte pourra être reconsacré.
— Et s’ils nous poursuivent ?
Elle haussa les épaules.
— Alors nous mourrons ensemble.
Nael sourit. Un vrai sourire. Pour la première fois depuis des jours.
— Marchons.
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L’aube saignait déjà sur l’horizon lorsqu’ils franchirent les grilles du sanctuaire. Main dans la main. Sans armes. Juste avec la promesse d’un souffle neuf.
Mais derrière eux, Lena observait.
Et dans ses yeux, il n’y avait plus de désir. Juste la guerre.
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