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Chapitre 2

Le silence entre eux dura une fraction de seconde, mais il sembla s’étirer à l’infini.

Ryse n’était pas du genre à attendre quoi que ce soit de Nigel, pas après tant d’années. Pourtant, elle se surprit à avancer d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à se retrouver face à lui. Il était encore plus impressionnant de près, son aura écrasante, presque intimidante. Elle déglutit légèrement, puis, dans un geste aussi naturel que maladroit, elle lui tendit la main.

« Bon retour, Nigel. »

Sa voix était calme, posée, sans trace d’émotion apparente. Après tout, elle n’était qu’une domestique ici, rien de plus. Mais dans ses souvenirs, il avait été bien plus que cela. Peut-être qu’au fond, une petite part d’elle espérait voir un éclat de reconnaissance, une lueur dans ses yeux qui lui prouverait que ces années partagées n’avaient pas été totalement effacées.

Mais il n’en fut rien.

Nigel baissa les yeux vers sa main tendue, la scrutant comme s’il s’agissait d’un objet étranger. Un silence pesant s’installa.

Puis, il détourna simplement le regard.

Il ne la salua pas. Il ne prit pas sa main. Il ne lui adressa même pas un mot.

L’air autour d’eux sembla se figer. Madame Harris observa la scène sans dire un mot, les lèvres légèrement pincées, tandis qu’Éloïse jetait un regard curieux à Ryse, comme si elle tentait de comprendre qui elle était pour oser s’adresser à Nigel ainsi.

Un nœud se forma dans l’estomac de Ryse. Elle sentit ses doigts se crisper légèrement avant de se refermer sur eux-mêmes.

Mais avant qu’elle ne puisse reculer ou dire quoi que ce soit, Nigel porta brusquement une main à sa gorge.

Son expression changea instantanément. Son visage se décomposa sous l’effet d’une douleur soudaine, et un frisson violent parcourut son corps tout entier. Il fit un pas en arrière, puis un autre, son souffle saccadé résonnant dans la pièce.

Un haut-le-cœur le prit, comme si une odeur insupportable venait de l’assaillir. Ses traits se tordirent en une grimace de pure répulsion, et l’instant d’après, il pivota brusquement sur ses talons et s’élança vers la porte d’entrée.

« Nigel ! » s’écria Éloïse, sa voix emplie d’inquiétude.

« Mon fils, qu’est-ce qu’il y a ?! » s’exclama madame Harris en se précipitant à sa suite.

Ryse resta figée sur place, son cœur battant violemment contre sa poitrine.

Elle venait d’être témoin de quelque chose qu’elle ne comprenait pas.

Nigel venait-il… de la rejeter avec une telle force que son propre corps en avait réagi ?

Non… ce n’était pas possible.

Et pourtant, l’image était là, gravée sous ses paupières.

Cet air horrifié, ce haut-le-cœur, cette fuite précipitée comme si sa présence lui était insupportable.

Ryse sentit une étrange chaleur lui monter au visage. Pas de la honte. Pas de la colère. Juste… une profonde incompréhension.

Les éclats de voix de madame Harris et d’Éloïse s’estompaient déjà dehors alors qu’elles poursuivaient Nigel à l’extérieur, leurs pas précipités résonnant contre le sol pavé.

Ryse, elle, resta en retrait.

Le froid qui s’insinuait en elle n’avait rien à voir avec la température ambiante.

Quelque chose venait de se briser.

Et elle ignorait encore à quel point cela allait bouleverser sa vie.

L’air du soir était plus frais dehors, mais cela ne semblait pas suffire à calmer la nausée violente qui s’emparait de Nigel.

Il s’était à peine éloigné de la maison qu’il s’était effondré contre un des piliers du perron, le souffle court, sa main crispée sur sa gorge comme s’il tentait de chasser un poison invisible. Une violente quinte de toux le secoua avant que son estomac ne se retourne complètement. Dans un spasme incontrôlable, il se pencha en avant et vomit.

Derrière lui, des bruits de pas précipités résonnèrent sur le sol pavé.

« Nigel ! » s’écria Éloïse en courant à ses côtés.

Madame Harris arriva juste après elle, son visage marqué par l’inquiétude. « Mon fils, qu’est-ce qui se passe ?! »

Mais Nigel ne pouvait pas répondre. Son corps le trahissait, le rejetant avec une intensité qu’il ne comprenait pas. Il serra les dents, essayant de reprendre le contrôle, mais l’odeur… cette odeur insupportable semblait encore flotter dans l’air, s’accrochant à lui comme une malédiction.

Éloïse posa une main sur son dos, le caressant doucement pour l’apaiser. Mais lorsqu’elle parla, sa voix était tremblante de frustration.

« Il ne supporte pas l’odeur des phéromones… » Elle marqua une pause avant de tourner un regard furieux vers madame Harris. « Cette fille l’a fait exprès ! Elle a laissé ses phéromones se libérer volontairement pour le provoquer ! »

Madame Harris se figea. « Qu’est-ce que tu racontes, Éloïse ? »

Éloïse serra les dents, son regard brûlant d’une jalousie à peine dissimulée. « Ryse. Elle sait très bien ce qu’elle est. Et elle sait ce qu’elle fait. Elle a attendu qu’il soit là pour diffuser son odeur et le rendre malade. Elle veut le manipuler ! »

Nigel, toujours à genoux, redressa légèrement la tête en entendant ces mots. Ses yeux, voilés par la douleur et le trouble, se teintèrent d’une lueur froide.

Manipulation.

Est-ce que c’était possible ?

Non… Impossible. Ryse n’était qu’une domestique, une oméga sans importance. Mais alors pourquoi… pourquoi son corps réagissait-il ainsi ?

Il tenta de se redresser, une main posée sur son front, le souffle encore court. Éloïse en profita pour resserrer son emprise sur lui, sa présence douce mais oppressante.

« Je t’avais prévenu, Nigel… Les omégas peuvent être dangereuses si elles savent comment utiliser leurs phéromones. C’est leur seule arme. »

Madame Harris posa une main sur l’épaule de son fils, une lueur d’inquiétude dans ses yeux. « Mon chéri… Est-ce vrai ? Ressens-tu son odeur aussi violemment ? »

Nigel serra la mâchoire, essayant de faire le tri dans ses pensées. Il était un alpha. Ce genre de réaction n’était pas normale.

Et pourtant… quelque chose en lui hurlait que Ryse était un problème.

Un problème qu’il devait éliminer avant qu’elle ne détruise tout ce qu’il avait construit.

Nigel peinait encore à retrouver son souffle. Son cœur battait furieusement dans sa poitrine, et la nausée persistante ne semblait pas vouloir s’apaiser.

Madame Harris posa une main ferme sur son bras. « Nigel… parle-moi. Que se passe-t-il ? »

Il resta silencieux un instant, le regard perdu dans le vide. Puis, il serra les poings, sa mâchoire se crispant sous l’effort de contenir ce qu’il refoulait depuis des années.

« Je ne peux pas… » Sa voix était rauque, brisée. « Je ne peux plus supporter l’odeur des phéromones oméga. »

Madame Harris et Éloïse échangèrent un regard surpris.

« Quoi ? » souffla Éloïse, incrédule.

Nigel ferma les yeux un instant, cherchant la force d’expliquer l’indicible. Lorsqu’il reprit la parole, sa voix n’était plus qu’un murmure grave.

« Aux États-Unis… Il s’est passé quelque chose. Quelque chose qui a tout changé. »

Madame Harris resserra son emprise sur son bras, son regard maternel transperçant ses défenses. « Dis-moi, mon fils. »

Un ricanement amer s’échappa des lèvres de Nigel. Il ne voulait pas se replonger là-dedans. Il avait fait tout ce qu’il pouvait pour enterrer ce souvenir, pour ne plus y penser. Mais maintenant que son corps le trahissait, qu’il rejetait violemment la simple présence d’une oméga, il ne pouvait plus nier la vérité.

« J’ai été piégé par une oméga. »

Le silence s’abattit sur le perron.

Éloïse se tendit instantanément, tandis que madame Harris ouvrait légèrement la bouche, choquée.

Nigel continua, son ton plus dur. « C’était une collègue… Je la considérais comme une amie. Mais elle… Elle a utilisé ses phéromones pour me manipuler. Pour me soumettre. » Son regard se durcit. « J’ai failli perdre tout ce que j’avais construit à cause d’elle. »

Ses doigts se crispèrent sur son pantalon, une rage contenue vibrant dans son corps.

« Depuis ce jour… » Il inspira profondément, tentant de repousser le souvenir écœurant. « Mon corps rejette l’odeur des phéromones oméga. Mon instinct d’alpha les perçoit comme une menace. Je ne peux plus les supporter. »

Il releva enfin la tête, croisant le regard inquiet de sa mère.

« C’est pour ça que je me suis éloigné des omégas. Que j’ai choisi Éloïse. Elle est une bêta. Stable. Sûre. »

Éloïse, qui était restée silencieuse jusque-là, s’agenouilla à ses côtés et prit doucement sa main. « Je comprends… » murmura-t-elle. Puis, son regard s’assombrit alors qu’elle jetait un coup d’œil vers la porte. « Et pourtant, ce soir, Ryse a laissé ses phéromones se diffuser. »

Elle tourna de nouveau son visage vers Nigel. « Tu vois ce que ça veut dire, n’est-ce pas ? »

Nigel ne répondit pas tout de suite. Son esprit était encore embrumé, mais une chose était certaine : il ne pouvait pas rester près de Ryse.

Pas après ce qu’il venait de ressentir.

Et surtout pas si elle représentait une menace pour son équilibre fragile.

Le silence s’était installé dans le salon, lourd et pesant.

Lorsque madame Harris revint, elle était accompagnée de Nigel et d’Éloïse. Son visage, d’ordinaire si chaleureux, était fermé, marqué par l’inquiétude. Nigel, lui, semblait encore troublé. Son teint était légèrement pâle, et ses mâchoires étaient crispées comme s’il se battait intérieurement pour garder contenance.

Ryse n’attendit pas de croiser leurs regards.

Son cœur tambourinait violemment dans sa poitrine, ses pensées s’entrechoquaient sans ordre précis. Elle savait que quelque chose n’allait pas, que Nigel l’accusait probablement d’un acte qu’elle n’avait pas commis. Le malaise qui s’était installé depuis son retour, ce rejet viscéral… Elle n’avait pas les réponses, mais elle sentait le danger s’abattre sur elle comme un orage prêt à éclater.

Alors, sans attendre que quelqu’un ne l’interpelle, elle s’éclipsa.

Elle gravit rapidement les escaliers, le souffle court, et se réfugia dans sa chambre exiguë sous les combles. Une fois la porte refermée derrière elle, ses jambes la trahirent et elle s’adossa lourdement contre le bois, sa main tremblante pressée contre sa poitrine.

Elle ne comprenait pas.

Pourquoi Nigel avait-il réagi ainsi ? Pourquoi cet air horrifié ? Pourquoi cette fuite précipitée, comme si sa seule présence lui était insupportable ?

Et surtout… pourquoi avait-elle ce sentiment écrasant de culpabilité, alors qu’elle n’avait rien fait ?

Elle inspira profondément, tentant de calmer les battements erratiques de son cœur.

Mais une seule pensée l’obsédait :

Nigel la méprisait.

Et ce soir venait de le confirmer.

Chapitre 3

Ryse n’avait pas dormi de la nuit.

Allongée sur son lit, les yeux fixés sur le plafond, elle n’avait cessé de ressasser la scène encore et encore. Chaque détail, chaque expression sur le visage de Nigel, chaque mot prononcé par Éloïse tournaient en boucle dans son esprit, comme un cauchemar dont elle ne pouvait se réveiller.

Pourquoi ?

Pourquoi avait-il réagi avec tant de rejet, tant de dégoût ?

Elle savait qu’il avait changé après son départ, qu’il était devenu un homme différent, un alpha accompli, mais jamais elle n’aurait imaginé qu’il puisse la regarder avec autant d’hostilité.

Elle était coupable de quoi, au juste ?

D’être une oméga ? D’avoir existé dans le même espace que lui ?

Le matin pointait à peine lorsque l’on frappa doucement à sa porte. Ryse sursauta légèrement, arrachée à ses pensées. Elle hésita un instant, son instinct lui dictant de ne pas répondre, de rester cachée dans son petit refuge. Mais la voix qui s’éleva derrière le battant la fit changer d’avis.

« Ryse, c’est moi. »

Madame Harris.

Elle s’empressa de se lever et d’ouvrir la porte. La matriarche se tenait là, vêtue d’une robe élégante mais sobre, ses cheveux impeccablement coiffés malgré l’heure matinale. Son regard était doux, mais empreint d’une gravité qui fit se crisper l’estomac de Ryse.

« Puis-je entrer ? » demanda-t-elle d’un ton bienveillant.

Ryse acquiesça silencieusement et s’effaça pour la laisser passer. Madame Harris s’installa sur le bord du lit, observant un instant la petite chambre aux murs pâles. C’était une pièce modeste, loin du luxe du reste de la maison, mais elle était toujours impeccable, à l’image de Ryse.

Un soupir traversa les lèvres de la femme avant qu’elle ne tourne de nouveau son attention vers elle.

« Je suis venue te parler de ce qui s’est passé hier soir. »

Ryse baissa les yeux, mal à l’aise. Elle s’attendait à des reproches, à une mise en garde, peut-être même à une décision drastique concernant sa place dans cette maison.

Mais au lieu de cela, madame Harris posa une main douce sur la sienne.

« Ce n’était pas ta faute, mon enfant. »

Ryse releva brusquement la tête, les yeux écarquillés.

« Mais… »

« Chut. Laisse-moi parler. »

Madame Harris eut un sourire triste avant de reprendre, sa voix empreinte d’une tendresse presque maternelle.

« Tu n’as jamais été une oméga agressive. Je le sais. Tu as toujours su te contenir, même lorsque tu étais plus jeune. Mais hier soir… tes phéromones se sont échappées, n’est-ce pas ? »

Ryse hocha la tête, troublée.

« Je… Je ne comprends pas comment c’est arrivé. »

La matriarche soupira légèrement.

« C’est naturel, tu sais ? Un oméga ne peut pas toujours tout contrôler, surtout lorsqu’il est en présence d’un alpha qu’il connaît depuis longtemps. »

Ryse détourna les yeux, mal à l’aise.

« Sauf que Nigel ne m’a pas reconnue… » murmura-t-elle.

Un silence s’installa.

Puis, madame Harris reprit doucement :

« Quand vous étiez petits… Il aimait ton odeur. »

Ryse releva la tête, interdite.

« Quoi ? »

Un léger sourire nostalgique étira les lèvres de madame Harris.

« Tu ne t’en souviens peut-être pas, mais Nigel passait son temps avec toi. Il te considérait presque comme une petite sœur. Quand ton corps a commencé à dégager des phéromones pour la première fois, il était curieux, intrigué. Il trouvait ton odeur réconfortante. »

Ryse resta figée, incapable de dire quoi que ce soit.

« J’ai pensé que ce serait pareil aujourd’hui », reprit madame Harris dans un murmure. « Que, même après toutes ces années, son instinct le guiderait vers toi, comme avant. »

Mais ce n’était pas arrivé.

Au lieu d’être attiré par elle, Nigel l’avait repoussée.

Ryse sentit un poids s’installer sur sa poitrine.

« Mais ce n’est plus le même Nigel », admit enfin madame Harris, son regard se voilant de tristesse.

Elle serra légèrement la main de Ryse, comme pour s’excuser.

« Quelque chose en lui a changé. Quelque chose que je ne comprends pas encore. Mais ce que je sais, c’est qu’il ne fallait pas que tes phéromones s’échappent ainsi. »

Ryse sentit son estomac se nouer.

« Je ne voulais pas… Je n’ai pas cherché à… »

« Je le sais, ma chérie », l’interrompit doucement madame Harris. « Mais Nigel et Éloïse ne le voient pas ainsi. Ils pensent que tu l’as fait exprès. »

Le cœur de Ryse rata un battement.

Alors c’était donc ça.

Ils l’accusaient vraiment.

Elle baissa la tête, une vague de désespoir la submergeant.

« Que… que vais-je faire ? » murmura-t-elle.

Madame Harris la regarda longuement avant de se lever, lissant les plis de sa robe.

« Pour l’instant, évite simplement Nigel. Laisse-lui du temps. »

Puis, elle se dirigea vers la porte, mais avant de sortir, elle s’arrêta et se retourna une dernière fois.

« Ne doute pas de toi, Ryse. Tu n’as rien fait de mal. »

Et sur ces mots, elle s’en alla, laissant Ryse seule avec son tourment.

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