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Lundi 25 septembre

                              

Je ferme la porte derrière moi en remontant le col de ma veste le plus haut possible. Le temps aujourd'hui est tout simplement affreux. Pluie, vent, brouillard et froid ont décidé de gâcher mon jour de repos mais c'était sans compter sur le sourire qui fend mon visage depuis quelques minutes à peine. Je rejoins un arrêt de bus en trottinant puis je grimpe dans le premier qui passe, histoire de me mettre à l'abri. Je m'échoue sur un siège au fond du véhicule et je m'empresse d'envoyer un message à Julie. Je viens de passer une heure dans le cabinet du médecin qui me suit ici, à enchainer tout une batterie de tests et d'examens pour déterminer l'évolution de ma guérison. Et à mon plus grand bonheur, je suis enfin autorisée à reprendre la danse. Le médecin m'a bien expliqué que ma hanche est guérie mais que je pourrai ressentir quelques douleurs lancinantes de temps à autres. Qu'importe, je peux à nouveau danser et cela suffit à me combler de bonheur ! 

                              

En revanche, il m'a bien mise en garde contre mon comportement alimentaire qui reste encore fragile. Lorsqu'il m'a posé toutes sortes de questions concernant mes habitudes, j'ai été honnête. Je lui ai expliqué que je peine à ressentir l'envie de me nourrir et que je me force chaque jour à porter la fourchette à ma bouche. Les mauvaises habitudes ont la vie dure et les cicatrices invisibles des tourments passés se réveillent souvent, m'obligeant à me montrer forte pour ne pas retomber dans mes travers. Même si le docteur trouve que je ne mange pas assez – et j'en suis pleinement consciente – je reste tout de même fière de moi puisque je m'astreints désormais à une rigueur que j'avais complètement rejetée quand je vivais en France. 

                              

Je continue également mes séances avec Faustine, ma psychologue. Nous avons rendez-vous tous les jeudis matin pour une séance d'une heure via Skype et je ne manquerai ces séances pour rien au monde. Moi qui ai énormément de mal à mettre en mot la brume qui obscurcit souvent mes pensées, j'ai découvert un oasis avec elle. Elle m'offre une parenthèse qui n'appartient qu'à nous, dans laquelle je peux dire tout ce qui me passe par la tête sans avoir peur d'être jugée. Chaque semaine, je me découvre un peu plus. Elle ne me force jamais à parler, elle s'adapte toujours à mes envies et j'ai pris conscience d'énormément de choses grâce à elle. 

                              

Le pardon est un concept bien complexe. J'ai toujours pensé que j'étais une personne indulgente, capable d'accepter les erreurs d'autrui et de les excuser assez facilement. Mais depuis que j'ai été confrontée à la trahison de ceux qui comptaient le plus pour moi, j'ai réalisé que je suis profondément rancunière. Et cette rancune a bien failli me bouffer la vie si ma psy ne m'avait pas fait prendre conscience que pardonner ne signifie pas oublier mais plutôt essayer de comprendre et d'avancer. J'ai également intégré que le plus difficile dans le fait de pardonner, c'est de me remettre en cause, d'accepter le fait que j'ai moi aussi une part de responsabilité dans ce qui s'est passé et d'assumer mes limites et celles de ceux qui m'ont fait mal. Mes parents ne sont pas parfaits et ne seront pas là pour moi quand j'aurais besoin d'eux. Je n'y peux rien et je dois l'accepter. C'est un travail long et éprouvant mais ô combien vital. Chaque jour, je m'efforce de puiser en moi la sagesse que je n'avais pas jusqu'alors. 

                              

Pardonner, ce n'est pas faire semblant d'aller bien et ruminer en secret tous les actes qui nous ont fait mal. Pardonner, c'est se montrer plus fort que la rancune ou la vengeance. C'est offrir un cadeau précieux à ceux qui le méritent, même s'ils ont commis un impair. En ce qui concerne mes parents, je n'ai pas décidé de leur offrir mon pardon mais de les pardonner égoïstement pour tourner la page et avancer. Je n'ai plus de contact avec eux mais depuis que j'apprends à me libérer de ma rancœur, je me sens mieux. Libérée, légère, libre. Bien sûr, certains soirs je m'endors en pleurant de n'être pas assez bien pour mériter leur amour. Mais le lendemain, je me fais violence pour laisser le pardon trouver sa place au milieu des débris de mon cœur. Et depuis quelques semaines, je ne me définis plus comme cette fille soumise et perdue que j'ai été pendant des années. 

                                          

              

                    

Quand j'ai choisi de m'installer ici, j'avais décidé de tirer un trait définitif sur mon ancienne vie pour m'en dessiner une plus douce. Mais j'ai fait mieux que ça. J'ai accepté mes erreurs ainsi que mes faiblesses et je commence à me sentir vraiment bien. Je m'étais promis de ne plus laisser Ethan m'approcher mais j'ai réalisé que cette idée est totalement saugrenue. Comment s'acquitter de ce qui m'a rendue le plus heureuse ? C'est tout bonnement impossible. Alors j'ai compris que je devais essayer de lui pardonner ses erreurs à lui aussi pour être capable d'esquisser les prémices de mon propre bonheur. Je ne sais pas s'il fera parti de mon avenir ou non mais j'ai besoin de m'absoudre de mes chaines pour entrevoir un horizon plus radieux. 

Le jour où Ethan m'a sincèrement présenté ses excuses, j'ai tenté d'ignorer la culpabilité et les regrets qui brouillaient son beau visage mais ils m'ont hantée des nuits durant. Je ne voulais pas accepter l'idée de lui pardonner tout simplement parce que je ne voulais être à nouveau cette fille faible que tout le monde se permet d'écraser. J'ai maintenant compris qu'essayer de pardonner ne signifie pas se laisser marcher dessus. Depuis, je lui laisse l'opportunité de m'approcher de nouveau pour me réapprivoiser. Et si je suis tout à fait honnête... je dois bien avouer que les rares moments que nous avons passés ensemble ont été plus qu'agréables. 

Depuis que j'ai commencé mon nouveau travail au Happiness Forgets, je n'ai plus vraiment une minute à moi. Mon patron me propose sans cesse de faire des heures supplémentaires et j'accepte à chaque fois, ravie de pouvoir renflouer mes caisses. En me lançant dans cette nouvelle aventure, j'appréhendais de ne pas être à la hauteur mais j'ai la chance d'être tombée sur une équipe exceptionnelle qui a tout fait pour me mettre à l'aise. Matt, un serveur d'environ vingt-cinq ans qui travaille ici depuis quelques années maintenant, a été missionné pour me former. Ce grand brun au regard perçant m'a tout de suite mise à l'aise et je suis plutôt fière de moi car j'apprends vite et bien. Certains soirs, je m'éclate derrière le bar à préparer les cocktails. D'autres soirs, je déambule entre les tables pour prendre les commandes et apporter les consommations aux clients. 

L'ambiance qui règne dans ce bar est tout ce dont j'avais envie : décontractée, branchée et simple. Les gens viennent boire un verre pour se détendre après le boulot ou pour se déhancher sur la musique qui résonne toujours un peu plus tard dans la soirée. Et moi, je me sens bizarrement à ma place dans ce décor feutré aux lumières tamisées. Le Happiness Forgets est un lieu très réputé mais difficile à trouver pour les novices puisqu'il se situe au sous-sol d'un immeuble sans enseigne. Dès lors, les habitués créent un noyau rassurant qui dynamise chaque soir ce lieu confiné. C'est bien simple, pratiquement tous les clients m'appellent déjà par mon prénom et pourtant, je ne travaille ici que depuis deux semaines ! 

Ma vie a donc repris un rythme effréné plutôt salvateur mais la seule chose que je regrette, c'est de devoir décliner toutes les propositions d'Ethan. Le karma se joue clairement de nous en ce moment puisque à chaque fois qu'il veut me voir, je suis de service et les rares fois où je suis disponible, c'est lui qui doit prêter main forte à Murphy. Nous ne nous sommes donc pas revus depuis le matin de mon entretien d'embauche, quand il est brièvement venu me souhaiter bonne chance. Nous avons quand même échangé plusieurs messages mais je commence à m'en lasser. J'ai besoin de passer du temps avec lui pour savoir si celui que j'ai entrevu se dévoiler n'est qu'un mirage ou une promesse d'avenir.  

La vibration de mon téléphone me sort de mes pensées. 

Julie : Oh putain ! Tu peux enfin danser ? Rejoins moi vite au studio, je t'attends ! 

Je ris silencieusement devant son excitation. Depuis que j'ai dit à ma coloc que la danse était une de mes passions, elle n'a pas arrêté de me tanner pour partager un moment au studio avec moi. Ma tête se pose doucement contre la vitre du bus, les innombrables gouttes de pluie ne parvenant toujours pas à troubler le sourire radieux qui ne veut plus quitter mon visage. Une vingtaine de minutes plus tard, j'arrive au studio de danse. Je suis passée à l'appartement chercher mon sac de sport et dire que j'étais excitée comme une puce en ressortant mes affaires de danse est un euphémisme. Je ne tiens littéralement pas en place. 

            

              

                    

Je pousse la grande porte vitrée du studio dans lequel Julie a l'habitude de passer des heures et je m'engouffre dans le couloir en suivant le bruit de la musique qui fait vibrer le plancher. Quand Julie m'aperçoit, elle m'offre un immense sourire en dégageant les mèches blondes qui collent sur son front perlé de sueur. 

-Le vestiaire est juste à droite. Va te changer et rejoins-moi vite ! 

Je m'empresse d'enfiler ma brassière et mon legging avant de fouler le parquet le cœur battant. Comme une tempête balayant tout sur son passage, je retrouve toutes ces sensations familières qui m'ont tant manqué. La sensation de la musique qui vibre en moi de la pointe de mes orteils à la racine de mes cheveux. Mon corps qui prend les commandes pour évacuer tout ce qui fourmille à l'intérieur de moi. Et cette impression bénie que je suis exactement là ou je devrais être. Je passe plus de deux heures à me laisser porter par la musique et à renouer avec tous les pas qui sommeillaient en moi. 

Quand nous sortons des vestiaires après avoir pris notre douche, mon regard est attiré par ce qui se passe dans une petite salle au fond du studio. De grandes baies vitrées me permettent d'admirer une quinzaine de petites têtes blondes qui boivent les paroles de leur professeure tout en essayant de reproduire les gestes qu'elle leur montre. Les enfants ne doivent pas avoir plus de huit ans et ils sont tout bonnement adorables dans leurs petits chaussons. Je remarque une petite fille assez timide, qui s'est placée au dernier rang et se contente d'enchainer les pas sans faire de vagues. Elle est appliquée et me rappelle immédiatement la fillette que j'étais quand je profitais de ce que je surnommais « le meilleur moment de la semaine ». 

-Hé Candice, t'es prête ? On rentre ? 

Je lance un dernier regard émerveillé à ce groupe de danseurs en herbe avant de rejoindre mon amie. Sur le chemin du retour à l'appartement, nous ne cessons de discuter du moment que nous venons de partager. Julie insiste pour que je m'inscrive à tous ses cours et moi je sais déjà que je vais désormais passer tout mon temps libre à faire grincer le parquet du studio. La nuit tombe sur la ville et disperse une pénombre brumeuse autour de nous. Nous nous dépêchons de nous engouffrer dans notre appartement pour nous défaire de l'humidité ambiante. Après avoir vidé son sac de sport, Julie se jette sur le canapé et gît un moment sur le ventre, totalement amorphe. 

-Je suis crevée, grommelle-t-elle la tête écrasée contre un coussin. 

-Tu veux que je nous cuisine un truc ? 

-D'accord mais fais un truc que tu aimes. J'en ai marre de te voir bouffer comme un moineau. 

Je réfléchis un instant à ce que j'ai envie de manger et me lance rapidement dans la préparation d'un risotto express. Pendant que la casserole est sur le feu, j'attrape deux verres et les remplis d'un bon vin blanc que j'ai acheté la semaine dernière. Nous passons un agréable moment toutes les deux, alternant entre discussions légères et fou-rires. Vers 22h, un message vient donner une nouvelle tournure à cette soirée. 

Ethan : Rejoins moi dans 5 minutes en bas de chez toi, je t'emmène quelque part. Et n'essaie surtout pas de me dire que tu n'es pas dispo ! 

Mon cœur entame un sprint éreintant en lisant ces quelques mots. Voyant sûrement que mes yeux s'écarquillent autant de surprise que d'excitation, Julie s'empare de mon téléphone pour lire le message d'Ethan. 

-Oh putain, va vite enfiler une tenue hyper sexy et fais le baver toute la soirée ! 

-Quoi ? Non, je ne compte pas me changer. Je suis très bien comme ça.

Nous baissons à l'unisson nos yeux sur ma tenue qui s'approche plus d'un pyjama débraillé que d'une tenue appropriée pour sortir avec un homme. Après une seconde de silence, nous éclatons de rire au même instant. 

            

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