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Après avoir versé une multitude d'objets incohérents dans ma valise, j'attrape mes clés de voiture et je m'en vais. Je ne m'arrête pas. Si je fais la moindre pause, je sais que la grenade qu'Ethan a dégoupillée aujourd'hui va exploser et tout terrasser sur son passage. Alors je fonce jusqu'à mon garage, je mets le contact et je prends la route. Je roule un long moment en ignorant les douleurs qui attaquent tous mes muscles, les vertiges qui font tanguer dangereusement ma tête et les bouffées de chaleur qui m'accablent de temps à autre. Je raffermis la prise de mes doigts sur mon volant en cuir et j'appuie un peu plus fort sur l'accélérateur. Je dois laisser toutes ces horreurs derrière moi. C'est ma seule issue. Même si j'ai l'impression qu'une bande de chiens enragés s'est jeté sur ma chair et me dépèce douloureusement, je ne dois pas m'écouter. Si je m'écoute, je m'écroule. Je dois atteindre cette plage et retrouver la sensation de légèreté et de plénitude qui m'a envahie ce jour-là. Alors j'accélère encore. Et je tente de calmer ma respiration qui ne m'obéit plus. Mes inspirations se font nombreuses et erratiques. Mes expirations se font suffocantes et étranglées. Chaque parcelle de mon corps se met à trembler au même rythme que mon cœur en lambeaux défonce la peau de mon sein gauche. Violemment. Durement. Cruellement. 

Soudain, mon cerveau décide de me planter un couteau dans le dos quand il me fait revivre sans relâche les révélations de Rose et les mensonges d'Ethan. La douleur logée dans mon cœur irradie jusque dans ma chair et j'ai brutalement envie d'ôter tout ce qu'il y a de vivant en moi pour ne plus rien ressentir. Mais je tiens bon, je me raccroche à ce cliché que j'ai glissé dans la poche de ma veste et j'accélère. Je pensais qu'un cœur qui a été brisé autant de fois ne pourrait plus souffrir à nouveau mais c'est faux, oh que c'est faux ! Un cœur brisé n'est destiné qu'à endurer de nouvelles douleurs et de nouvelles déceptions. Parce qu'un cœur brisé ne connaitra plus jamais le bonheur. Il s'est enfui à travers les fissures, les brisures, les miettes et les éclats pour ne plus jamais revenir. Le bonheur, trop pur pour toute cette noirceur, déserte les gens défectueux et les laisse seuls avec leurs démons.  

Je revois l'alliance d'Ethan ornée des lettres « R&E » et je me hais immédiatement de ne pas avoir fait le rapprochement plus tôt. J'aurais pu arrêter ce massacre si j'avais été moins bête. Mais j'ai choisi de foncer tête baissée droit dans le mur et l'impact qui m'a terrassée a détruit celle que j'étais. Le visage peiné d'Ethan se dessine sous mes paupières au moment où une douleur inhumaine me torpille la poitrine. Je ne savais pas qu'on pouvait sentir chacun de ses organes se déchirer les uns après les autres sous le coup de la douleur. Et pourquoi tout à coup un mur d'eau apparaît devant mes yeux ? Je ne veux pas de pluie ! Mais le torrent qui me foudroie jaillit de mes yeux et non pas du ciel. Je ne veux pas de larmes ! Je veux la mer, le soleil, la plage et le seul bruit des vagues. Je veux enfoncer mes pieds dans l'eau salée, faire glisser des grains de sable entre mes doigts et sentir la peau tiède de mon corps réchauffer tout doucement mon cœur. Je veux juste retrouver cette sensation que j'ai ressentie ce jour-là avec ma grand-mère. Cette sensation que tout ira bien. Juste un instant, s'il vous plaît laissez-moi juste un instant...

Mais certains souhaits ne sont simplement pas faits pour être exaucés. Les larmes torrentielles qui s'échappent de mes sanglots continuent de gicler toujours plus violemment de mes yeux. Je ne peux pas perdre pied maintenant, il ne me reste plus que plusieurs centaines de kilomètres avant le répit. Alors j'essuie mes joues et j'accélère. Mais les larmes ne tarissent pas, bien au contraire. Des hurlements de rage et de peine déchirent maintenant le silence qui règne dans l'habitacle et la faible part de moi qui essaie de tenir bon se fait dévorer par mes démons. Je sanglote minablement, je suffoque puis je vocifère tel un animal blessé sous la douleur que mon cœur subit. J'essaie de me rappeler l'image de ma grand-mère tendant les bras vers moi mais je n'y parviens plus. Je ne veux pas me noyer mais certains souhaits ne sont simplement pas faits pour être exaucés.

Je n'en voulais pas moi de cette douleur. Je n'en voulais pas moi de ce choc. Je n'en voulais pas moi de ce camion qui me percute à pleine vitesse. Je n'en voulais pas moi de cette ferraille qui rentre dans ma chair. Je n'en voulais pas à moi de ce cri épouvantable qui sort de mes lèvres. Je n'en voulais pas moi de ce mur noir qui se placarde devant mes rétines. Je n'en voulais pas moi de ce sang qui coule de ma poitrine. Je n'en voulais pas moi de tout ça. 

Moi, je voulais entendre le bruit des vagues, pas celui de ma voiture se faisant broyer par un poids lourd sur l'autoroute. Moi, je voulais me réveiller avec le bruit des cigales, pas sombrer en n'entendant que le vacarme mortifiant du silence bourdonner dans mes oreilles. Moi, je voulais arriver à me détendre et à oublier, pas sentir ma nuque raide et mes joues luisantes de larmes mêlées de sang. Mais quand soudain tout s'arrête, je réalise que je suis peut-être mieux ici à m'éteindre dans ma voiture plutôt qu'à endurer toute une vie avec un cœur en cendres. Alors je ferme les yeux et je laisse la douleur ignominieuse que je ressens sur mon côté gauche s'infiltrer en moi sans lutter.  

On se souvient tous d'un détail insignifiant, une toute petite chose qui s'accroche à notre mémoire et grave certaines circonstances à tout jamais. Moi c'est cette étoile. Celle qui brille un peu plus que les autres, tout là-haut vers la gauche. Vous la voyez vous aussi ? C'est étrange qu'elle brille aussi fort en pleine journée. Mais moi je ne vois plus qu'elle, comme une minuscule lueur au bout d'un tunnel sombre. Je ne vois plus qu'elle. Mais bientôt je ne vois plus rien.

            

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