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Chapitre 3

La peur la submergea. Instinctivement, elle porta la pilule à sa bouche et l’avala avant qu’il ne s’en aperçoive. Elle tenta de se dégager, mais l’homme la maintint fermement. Son souffle chaud sentait l’alcool. Il la souleva sans effort et l’entraîna jusqu’au lit, la jetant à plat ventre sur les draps.

— « Qui es-tu ? Quel est ton nom ? » demanda-t-il en enfouissant son visage dans ses cheveux.

Un frisson la traversa de part en part. Jamais elle n’avait été ainsi piégée. L’homme pouvait la tuer à tout instant. Mais sa tête tournait, comme si ses forces l’abandonnaient. Ses membres répondaient à peine. Elle lutta, inutilement, comme une proie fragile face à une bête puissante. — « Je… » Sa langue épaissie l’empêchait de parler.

— « Quel jeu joues-tu ? » gronda-t-il en la retournant sur le dos, toujours prisonnière de ses bras. Sa voix grave vibrait comme un grondement. De son doigt, il effleura le masque. « Parle. Sinon, j’ai ma façon à moi de découvrir qui tu es. »

Elle voulait répondre, mais ses pensées s’embuaient. — « Tania… » souffla-t-elle, peinant à garder les yeux ouverts.

Face à elle, ses traits se dessinaient dans la pénombre : des cheveux noirs de jais, un nez droit et marqué, un visage qu’éclairait à peine la lueur vacillante des flammes. La manière dont il l’emprisonnait la troublait autant qu’elle l’effrayait.

— « Et toi, qui es-tu ? » balbutia-t-elle, la gorge sèche, le corps sans force. La pilule l’achevait.

— « Ici, ça n’a pas d’importance », répondit-il d’un ton calme.

Il inclina la tête, puis sa bouche écrasa la sienne. Ce n’était pas un baiser furtif ni doux. Eltanin embrassa Tania d’un baiser violent, exigeant, profond.

Tania eut un sursaut, traversée par une peur étrange, déclenchée par les picotements qui parcouraient tout son corps. Pendant qu’il l’embrassait, ses mains s’étaient crispées sur ses épaules, à travers le tissu de sa chemise. Elle sentit une pointe dure contre sa bouche : ses crocs. Lorsqu’il s’écarta, ils effleurèrent sa lèvre inférieure, qu’il effaça d’un coup de langue.

« C’était ton premier baiser ? » demanda-t-il en redressant la tête, les yeux fixés sur elle. Ses lèvres gonflées brillaient encore. Sa chevelure sombre glissa sur son front, et son érection s’endurcit. Il pesait à moitié sur elle, une de ses jambes bloquant les siennes.

Tania se dit qu’il devait être un soldat en maraude, qui s’amusait de sa frayeur avant de la livrer aux autorités. Ses sens s’émoussaient de plus en plus. Si elle ne trouvait pas une échappatoire, elle finirait par être entraînée dans quelque chose de fatal. Tout son corps tremblait sous lui. Pour ce qu’elle en savait, cet homme pouvait la tuer à tout moment. Un frisson glacé lui parcourut le dos.

« Lâche-moi, je t’en prie », souffla-t-elle en se pressant contre sa poitrine. « Pas pour l’instant. Je me sens trop bien », répondit-il avec un calme cruel.

Les yeux de Tania s’écarquillèrent derrière son masque, et Eltanin éclata d’un rire grave, qui vibrait contre son torse. Elle laissa échapper un souffle tremblant. « Je t’en supplie, relâche-moi. Je me sens mal », murmura-t-elle. « Alors dis-moi d’où tu viens », répliqua-t-il, enfouissant le visage dans ses cheveux, respirant leur odeur d’agrumes mêlée à des épices suaves.

« Et toi ? D’où viens-tu ? » renvoya-t-elle, tentant de garder contenance malgré la drogue qui l’abrutissait. Il eut un petit rire. « Les espions aiment toujours jouer », dit-il en effleurant les attaches de son masque. « Je ne suis pas une espionne », souffla-t-elle, le ventre noué.

Et s’il l’ôtait ? Son visage serait découvert. Son Maître compromis. Ses lèvres se pincèrent, elle détourna la tête, le suppliant silencieusement de ne pas insister. Il n’ôta pas le masque, mais son doigt suivit lentement son contour.

« Quel âge as-tu ? » demanda-t-il. Elle le regarda sans répondre, baissant ensuite les yeux vers son menton, fuyant la question. « Tu es fascinée par ma beauté ? » lança-t-il, provocateur.

La poudre de champignons que lui avait donnée Eri commençait à agir. Elle avait versé ce mélange dans le vin. Il s’en rendait compte trop tard, après l’avoir avalé. Son arrogance fit hausser un sourcil à Tania. Elle détourna la conversation.

Quelque chose de dur et brûlant pressait contre elle. D’un geste hésitant, elle le toucha du doigt. « Qu’est-ce que c’est ? » demanda-t-elle, décontenancée.

Il frémit, au point de ressentir une douleur sourde dans le bas-ventre. Il siffla et elle recula, apeurée. « Si tu ne t’écartes pas, j’appellerai la princesse Petra. Elle te remettra au roi », le menaça-t- elle doucement. « On dit qu’il est cruel… Il t’exécutera. »

Eltanin éclata d’un rire incrédule. Il caressa sa joue, couverte de fine poussière dorée. Elle était à coup sûr nouvelle dans ce royaume. Pour lui, la capturer serait un jeu. « J’en doute fort. S’il appréciait ce que je fais en ce moment, il me garderait à ses côtés », répliqua-t-il. « Tu le connais donc ? » s’étonna-t-elle. « Je suis proche de lui », affirma-t-il avec aplomb.

Le cœur de Tania battait si fort qu’elle en eut le vertige. Elle pensa qu’il n’y avait aucune échappatoire. Mais une idée traversa son esprit. « Alors tu connais sûrement le prince Rigel ? »

Un grondement sourd monta de sa poitrine. La jalousie l’enflamma d’un seul coup. « Non. Je ne le connais pas », mentit-il. « Pourquoi tu demandes ça ? Tu veux le séduire ? » « Quoi ? Certainement pas ! » protesta-t-elle.

Le soulagement se lut sur son visage. Il reprit sa caresse contre sa joue, son regard brillant. « Tu es magnifique », souffla-t-il. Rigel n’existait plus à cet instant.

Mais Tania, elle, bouillonnait intérieurement. « Va donc charmer quelqu’un d’autre », lâcha-t- elle avec colère. Elle tenta de le repousser à nouveau, mais ses forces diminuaient et il ne céda pas d’un pouce.

« Je n’ai pas besoin de séduire personne. Mais toi… es-tu sous mon charme ? » dit-il d’une voix alourdie.

Elle soupira, ses membres devenant mous, alourdis par le poison qui circulait dans ses veines. Ses paupières se fermèrent à moitié. « Non… et lâche-moi », souffla-t-elle dans un dernier effort.

Il rit d’un son grave. « Non », répondit-il, serrant sa taille en approchant ses lèvres de son oreille. « Est-ce que tu… »

Elle n’entendit pas la suite. La pilule avait gagné. L’obscurité l’engloutit. Son corps s’abandonna, et il resta là, le visage enfoui dans ses cheveux, murmurant des mots indistincts avant de sombrer lui aussi dans le sommeil.

La nuit n’était pas encore terminée quand Tania reprit conscience. Sa tête martelait comme si on l’avait frappée. Sa gorge était sèche, ses gémissements lui déchiraient les cordes vocales. Elle tenta de bouger, sans succès. Son corps semblait emmuré dans un étau de chaleur, couvert de sueur. Elle se débattit faiblement, mais resta prisonnière.

Un effort colossal lui permit d’ouvrir enfin les yeux. La lumière rougeoyante des braises éclairait faiblement la chambre. Elle souffla bruyamment, cherchant à rassembler ses souvenirs. Elle se rappela la pilule. Elle se rappela avoir été surprise alors qu’elle espionnait.

« Non ! » cria-t-elle d’une voix rauque. Si on la démasquait, elle finirait exécutée. Comment avait-elle pu s’endormir ainsi ? Elle se maudit.

C’est alors qu’elle sentit une présence derrière elle. Un homme. Ses bras l’entouraient, sa jambe emprisonnait la sienne.

Le regard de Tania glissa vers sa taille, là où reposait ce bras solide qui l’enserrait. La manière dont il la retenait donnait l’impression qu’il protégeait ce qu’il avait de plus précieux. Elle n’aurait pas cru trouver une forme de réconfort dans ce contact, mais c’était pourtant le cas : une senteur de mer et de sel l’enveloppait, et la chaleur de ce corps derrière elle s’alourdissait dans le sommeil. Les battements réguliers de son cœur vibraient comme une berceuse contre son dos. Elle lutta pour ne pas se laisser happer par ce calme. Dix-sept étés s’étaient écoulés sans qu’elle ait jamais ressenti pareille chose. Mais cette douceur s’éteignit aussitôt qu’elle se rappela la vérité : elle devait s’échapper au plus vite, sans alerter l’homme le plus redoutable qu’elle ait jamais rencontré.

Les contacts, dans son passé, n’avaient jamais été tendres. Esclave, elle n’avait connu que la morsure du fouet, la brutalité d’un bâton ou la cruauté des rituels qui lui volaient une part d’elle-même. Chaque geste d’homme avait rimé avec douleur, sang et humiliation. Ce souvenir lui arracha un frisson. Elle tenta de ne pas comparer, se répétant que tous n’étaient pas semblables… mais pas totalement différents non plus. Son regard revint sur ce bras qui pesait contre elle. Elle essaya de le soulever, mais son vêtement restait coincé sous le poids de son corps.

Il lui fallut pivoter pour dégager sa robe. Elle se retrouva face à lui, et cette proximité l’immobilisa. Jamais elle n’aurait cru croiser un homme d’une telle beauté. Tout en lui rappelait les statues divines : les épaules larges, la peau hâlée, l’élégance naturelle qui se dégageait même de son sommeil. Ses traits parfaits inspiraient autant le respect que l’autorité, comme si, endormi, il restait maître de la pièce. De longues mèches bleu sombre tombaient sur son front et descendaient jusqu’à la courbe puissante de son cou. Son souffle effleurait ses lèvres entrouvertes, et Tania réalisa qu’elle avait retenu le sien. L’arc délicat de sa bouche la troubla si fort que son cœur accéléra à s’en affoler, jusqu’à craindre qu’on l’entende derrière les murs.
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