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Chapitre 6

6: Un mensonge troublant

Enfin seule.

Après ce moment déroutant avec Alessandro dans la cuisine, j’avais besoin de retrouver mon calme. Heureusement, lorsqu’après quelques minutes je suis revenue pour dresser la table, il n’était plus là. Un profond soulagement m’a envahie.

Il est oppressant. Dominant. Chaque fois qu’il est près de moi, j’ai l’impression de suffoquer sous son regard perçant. Alors, travailler sans sentir son ombre peser sur moi… c’est une délivrance. Je prends le temps de bien aligner les assiettes, de plier les serviettes avec soin, et de m’assurer que tout soit parfait pour le dîner. Madame Isabella mangeait peu ces derniers temps, alors j’essayais toujours de rendre les repas plus agréables pour elle.

Quand tout est prêt, je retire mon tablier et monte à l’étage pour l’informer que le dîner est servi. Je traverse le couloir d’un pas rapide. J’ai hâte de terminer cette journée. Mais alors que j’arrive devant la chambre de Madame Isabella…

Je me fige.

Non… il est encore là. Un regard, un trouble. Alessandro est debout, près du lit de sa mère. Il est grand. Trop grand. Son charisme emplit la pièce, et malgré moi, mon cœur rate un battement.

Pourquoi faut-il toujours que je tombe sur lui ?

J’aimerais détourner les yeux, l’ignorer complètement, mais c’est impossible. Son regard sombre me capte aussitôt, et cette tension invisible entre nous revient comme une vague oppressante. Je m’éclaircis la gorge et m’adresse à ma patronne :

—Madame, le dîner est prêt.

Madame Isabella me sourit faiblement. Sa voix est douce, fragile.

— Merci, ma chère.

Puis, elle tourne son regard vers Alessandro.

— Alors ? Tu as fait connaissance avec Livia ?

Je me tends légèrement. Bien sûr qu’on s’est rencontrés. Et pourtant, avant même que je puisse répondre, Alessandro parle. D’un ton calme. Naturel. Comme si c’était la vérité la plus évidente au monde.

— Non. Pas encore.

Je cligne des yeux, choquée. Quoi ?

Mes doigts se crispent autour de mon tablier. Il est sérieux ?

Madame Isabella hoche la tête et sourit doucement.

— Dans ce cas, laissez-moi faire les présentations.

Elle lève une main tremblante vers moi.

— Alessandro, voici Livia. C’est une fille adorable, très appliquée et attentionnée. Elle m’aide depuis des années.

Puis elle se tourne vers lui avec tendresse.

— Livia, voici mon fils.

Mon regard glisse vers Alessandro. Il m’observe toujours. Impassible. Arrogant. Son mensonge est un défi silencieux. Mon cœur bat plus fort. Pourquoi a-t-il menti ? Pourquoi nier notre rencontre ? Ce moment dans sa chambre… cette tension dans la cuisine… rien de tout ça ne s’est passé ?

Je ne comprends pas son jeu. Je n’essaie même pas de cacher mon trouble.

— Euh… enchantée, Monsieur.

Il esquisse un sourire en coin, un sourire que je n’arrive pas à décrypter.

— Plaisir partagé… Livia.

Sa voix grave s’attarde sur mon prénom, comme une caresse.

Je déglutis difficilement. Je dois partir d’ici.

— Excusez-moi, Madame, je vais redescendre, dis-je précipitamment. Avant que quelqu’un ne réponde, je tourne les talons et quitte la chambre en vitesse.

Mon cœur tambourine dans ma poitrine alors que je descends les escaliers. Pourquoi a-t-il menti ? Pourquoi ce sourire en coin, comme s’il savourait mon trouble ? Je me rends compte que je serre toujours mon tablier entre mes doigts. Ce type est dangereux.

Pas seulement parce qu’il est intimidant, mais parce qu’il joue avec moi. Et le pire… C’est que je ne sais pas si je veux fuir ce jeu. Ou y succomber.

Je pensais pouvoir souffler en quittant la chambre de Madame Isabella. J’avais tort. Car à présent, je suis coincée à table avec lui. Alessandro.

Il est assis juste en face de moi, sa présence pesante, dominante, comme s’il contrôlait toute l’atmosphère de la pièce. Son regard sombre se pose sur moi à intervalles réguliers, et chaque fois que nos yeux se croisent, un frisson me parcourt. Mais je refuse de détourner les yeux la première.

Si c’est un jeu, alors qu’il sache que je ne suis pas aussi faible qu’il semble le penser. Je sers du potage à Madame Isabella, lui offrant un sourire tendre. Elle semble fatiguée, mais son regard reste lumineux.

Puis, en me penchant légèrement pour lui tendre un morceau de pain, je sens un frisson me traverser.

Une main. Froide, ferme, effleurant à peine ma cuisse sous la table. Mon souffle se coupe net. Je redresse la tête, choquée. Alessandro. Il mange tranquillement, un air faussement innocent sur le visage.

Non… il n’a pas osé…

Un frisson descend le long de ma colonne vertébrale. Est-ce un test ? Une provocation ? Mon cœur bat plus fort, mon sang pulse dans mes tempes. Je n’ai pas le temps de réagir que la main disparaît, comme si de rien n’était.

Je m’éclaircis la gorge et fixe mon assiette, essayant d’ignorer la chaleur qui monte en moi.

Madame Isabella brise le silence en souriant :

— Alors, mon fils, comment se passe le travail en Italie ?

Un léger silence s’installe avant qu’il ne réponde d’un ton neutre :

— Bien. Très bien.

Son regard glisse à nouveau sur moi, comme s’il sentait que j’attendais plus de détails. Il ne dit rien de plus. Bien sûr qu’il ne va pas en parler.Son voyage en Italie après la mort de son père… la gestion de ses affaires… tout ça reste un mystère. Je n’ai jamais posé de questions à Madame Isabella, mais j’ai entendu quelques murmures des autres employés. Des rumeurs. Des histoires floues sur des affaires familiales compliquées. Je repose doucement ma cuillère et, sans vraiment réfléchir, je murmure :

— Je suppose que ce n’est pas un travail facile.

Il arque un sourcil, intrigué par mon ton.

— Que veux-tu dire ?

Son regard s’est légèrement durci. Mais je ne recule pas.

— Gérer un héritage si… intense, je dis en pesant mes mots.

Un silence s’abat sur la table. Madame Isabella observe la scène avec curiosité. Alessandro, lui, garde son calme en apparence. Mais ses yeux… Ils viennent de s’assombrir dangereusement.

J’ai touché un point sensible.

Son poing se serre légèrement sur la table avant qu’il ne le détende rapidement.

— Livia… murmure-t-il avec ce sourire en coin que je commence à trop bien connaître.

Je retiens mon souffle.

— Tu es bien curieuse.

— Ce n’est pas de la curiosité, je réponds sans réfléchir.

Il penche la tête, amusé.

— Ah oui ? Alors c’est quoi ?

Je sens le regard de Madame Isabella peser sur nous.

— Je voulais juste dire que ce ne doit pas être simple de revenir ici après tant de temps, je me rattrape rapidement.

Son sourire s’efface légèrement. Il me fixe. Longtemps. Comme s’il cherchait à voir à travers moi. Puis, lentement, il se redresse et prend une gorgée de vin.

— Effectivement.

Sa voix est plus basse. Presque… grave.

Madame Isabella brise le silence en posant sa main sur celle de son fils :

— Je suis sûre que ce retour te fera du bien, mon chéri. Cette maison est toujours la tienne.

Alessandro hoche la tête et détourne enfin son regard de moi.

Je relâche discrètement un souffle que je ne savais même pas retenir. Sous la table, mes mains tremblent légèrement.

Qu’est-ce que je viens de faire ? J’ai provoqué un homme qui ne laisse rien transparaître. Et pourtant, pendant une fraction de seconde, j’ai vu quelque chose. Une faille. Un malaise.

Peut-être même… une douleur. Mais il s’est repris trop vite.

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