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Chapitre 2

Le lac apparaît enfin devant nous, sa surface sombre reflétant le ciel gris de cette fin d’après-midi. C’est un endroit magnifique et inquiétant à la fois. L’eau est si claire qu’on peut voir le fond rocheux, mais elle semble aussi profonde que les secrets qu’elle garde. Des nénuphars flottent paresseusement près des rives, et des libellules dansent au-dessus de l’eau.

— C’est si paisible ici, » dis-je en m’asseyant sur un rocher près de l’eau. « Je comprends pourquoi maman aimait cet endroit.

Aria s’installe à côté de moi, surprise.

— Elle venait ici ?

— Papa m’a dit qu’elle adorait se promener dans ces bois quand elle était enceinte de moi. Elle disait que la nature l’apaisait.

Je ramasse un galet et le fais ricocher sur l’eau.

— Parfois, j’ai l’impression qu’elle est encore ici, quelque part. Que si je tends l’oreille assez fort, je peux entendre sa voix dans le vent.

— Helena… » La voix d’Aria se fait douce et inquiète. « Tu sais que ta mère est partie, n’est-ce pas ? Elle ne reviendra pas.

— Je sais ! » Ma voix claque plus fort que je ne l’aurais voulu. « Bien sûr que je sais qu’elle est morte ! Mais ça ne m’empêche pas de la sentir présente parfois. Papa refuse de me parler d’elle, et Morgana… eh bien, Morgana ne rate jamais une occasion de me rappeler que je ne la vaux pas. Alors oui, parfois je viens dans ces bois et je fais semblant qu’elle est encore là.

Aria me prend la main.

— Pardonne-moi. Je ne voulais pas… Je m'inquiète pour toi, c’est tout. Depuis quelque temps, tu sembles… différente. Plus triste, plus perdue.

Elle a raison, même si je n’ai pas envie de l’admettre. Depuis mes vingt-deux ans, j’ai l’impression de stagner. Toutes les filles de mon âge au village sont mariées ou fiancées. Moi, je reste enfermée dans cette maison avec Morgana qui me rend la vie impossible, et un père fantôme qui préfère chasser des monstres imaginaires plutôt que de s’occuper de sa fille.

— Je me sens comme si j’attendais quelque chose, » dis-je finalement. « Mais je ne sais pas quoi. Comme si ma vraie vie n’avait pas encore commencé.

— Peut-être que c’est le cas. » Aria sourit. « Peut-être que quelque chose de merveilleux t’attend au tournant.

Si seulement elle savait à quel point elle avait raison.

Le soleil commence à décliner, projetant des ombres longues sur l’eau. Je sais que nous devrions rentrer, mais quelque chose me retient ici. Une sensation étrange, comme si l’air lui-même vibrait d’une énergie invisible.

— Tu sens ça ? » demande Aria soudain, regardant autour d’elle avec nervosité.

— Sentir quoi ?

— Comme si… comme si on nous observait.

Mon cœur s’accélère. Maintenant qu’elle le dit, j’ai effectivement cette impression désagréable que des yeux invisibles sont fixés sur nous. Les poils de mes bras se dressent, et une partie primitive de mon cerveau me crie de fuir.

— On devrait rentrer, » murmure Aria en se levant. « Il va bientôt faire nuit.

Mais au moment où nous nous tournons pour partir, un bruit sourd résonne derrière nous. Un plongeon, comme si quelque chose de lourd venait de tomber dans l’eau. Nous nous retournons brusquement, scrutant la surface du lac, mais nous ne voyons que les ondulations qui s’élargissent en cercles concentriques.

— Qu’est-ce que c’était ? » chuchote Aria, agrippant mon bras.

— Je ne sais pas. Un poisson, peut-être ? Un gros poisson ?

Mais même en le disant, je n’y crois pas. Le bruit était trop fort, trop… délibéré. Comme si quelque chose avait sauté dans l’eau depuis la rive opposée.

Helena, on s’en va. Maintenant.

Cette fois, je n’argumente pas. Nous rebroussons chemin rapidement, évitant de courir pour ne pas céder à la panique, mais marchant d’un pas décidé. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression qu’on peut l’entendre à des kilomètres.

Ce n’est qu’une fois arrivées à la lisière de la forêt familière que nous osons nous arrêter pour reprendre notre souffle.

— C’était quoi, d’après toi ? » demande Aria, encore pâle.

— Je ne sais pas, mais papa avait peut-être raison de m’interdire d’aller là-bas.

— Tu vas lui dire qu’on y est allées ?

Je réfléchis. Si je raconte à papa ce qui s’est passé, il va me confiner à la maison pour des mois. Et puis, qu’est-ce que je lui dirais exactement ? Qu’on a entendu un bruit dans l’eau et qu’on a eu peur ? Il va penser que je deviens hystérique comme toutes ces femmes du village qui voient des monstres partout.

— Non, » dis-je finalement. « On n’a rien vu de concret. Pas la peine de l’inquiéter pour rien.

Mais en disant cela, je ne peux pas m’empêcher de jeter un dernier regard vers les bois sombres derrière nous. Et pendant une fraction de seconde, j’ai l’impression de voir quelque chose bouger entre les arbres. Quelque chose de grand, de sombre, qui nous observe partir.

Quand j’arrive à la maison, Morgana m’attend sur le perron, les bras croisés et un sourire mauvais aux lèvres. Aria est déjà rentrée chez elle.

— Alors, ma chère belle-fille, belle promenade ? » Sa voix dégouline de faux miel. « J’espère que tu n’es pas allée où tu ne devrais pas. Ce serait dommage que ton père apprenne tes petites escapades, n’est-ce pas ?

Je passe devant elle sans répondre, mais je sens son regard qui me brûle le dos. Morgana sait quelque chose. Elle sait toujours tout, comme si elle avait des espions partout dans le village.

Une fois dans ma chambre, je m’effondre sur mon lit et ferme les yeux. Mais l’image persiste, cette ombre dans les bois, cette sensation d’être observée, et cette certitude troublante que ma vie vient de basculer sans que je m’en aperçoive.

Quelques heures après…

Dehors, la nuit tombe, et quelque part dans l’obscurité, quelque chose hurle. Pas un loup, non. Quelque chose de différent, de plus profond, de plus… humain.

Je frissonne et tire les couvertures sur ma tête, essayant d’oublier cette journée. Mais une partie de moi sait déjà qu’il n’y aura pas d’oubli possible. Quelque chose a changé aujourd’hui près de ce lac. Quelque chose qui va bouleverser ma vie à jamais.

Et dans un coin sombre de mon esprit, une petite voix murmure que ce changement, aussi terrifiant soit-il, est exactement ce que j’attendais sans le savoir.

Le hurlement résonne à nouveau dans la nuit, plus proche cette fois. Mon cœur s’emballe, mais cette fois, ce n’est pas seulement de peur. C’est aussi d’excitation.

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