Num.6
Alessandro.
Trente cinq ans plus tôt…
Je retire mes baskets et monte en courant dans la chambre de ma mère, elle est enfin sortie de l’hôpital dans lequel elle était. Papa m’a dit qu’elle était très malade, elle a mis si longtemps dans cet hôpital que je craignais de ne plus jamais la revoir. Mais elle est enfin là, elle va continuer à me lire l’histoire que nous avions commencé tous les deux. Le petit prince. J’ouvre la porte de sa chambre en appelant son nom.
“ Maman ? ”
Je regarde partout autour de moi, mais la chambre est vide. Toutefois, il y’a de l’eau partout, l’eau coule de la salle de bain jusqu’à la chambre. Je marche lentement vers la salle de bains en continuant d’appeler ma mère.
“ Maman ? ”
Aucune réponse, lorsque je pousse la porte, ma mère est allongée dans la baignoire, avec de l’eau jusqu’aux yeux, une boîte de médicaments juste à côté d’elle, elle est entrée dans l’eau avec sa nuisette. Qui prend un bain habillé ?
“ Maman, tu as pris un bain tout habillée ? ”
Mon esprit d’enfant ne comprend pas très bien ce qui se passe, je lui prends la main et la caresse lentement, elle est glacée.
“Tu as froid maman ? Pourquoi ne réponds-tu pas ? ”
Tout à coup, ma nounou entre dans la pièce et pousse un hurlement déchirant et me prend par la main.
“ Viens avec moi Sandro. ”
“ Pourquoi maman ne répond pas ? Elle est fâchée tu crois ? ”
“ Non mon chéri, ta mère t’adore tu sais. Elle se repose juste. On va appeler ton père d’accord ? ”
Maria pleurait pour une raison que je ne comprenais pas. J’étais bien trop occupé me demander pourquoi ma mère ne me parlait plus. Elle m’offrît un verre de lait et cookies, puis nous sommes restés assis dans la cuisine à attendre mon père. Je ne pus rien avaler, j’avais le pressentiment que quelque chose de grave se passait. Tout cela se confirma lorsque mon père franchit les portes de la maison accompagné de plusieurs hommes. Maria leur indiqua la chambre et ils montèrent à l’étage.
“ Papa qu’est-ce qui se passe ? Maman ne me répond pas. ”
“ Tu te rappelles Sandro, lorsque je t’ai qu’un homme ne pleure jamais et encore moins lorsque tu portes le nom Rossi ? ”
Je répondis oui de la tête et mes boucles noires se mirent à bouger au même rythme.
“ Ton apprentissage commence dès aujourd’hui. Ta mère nous a quitté fils, elle est morte. ” Dit mon père d’un ton lent et froid.
Maria derrière nous poussa un petit cri, je savais ce qu’était la mort, mais je ne savais pas qu’un jour elle me prendrait ma mère. Surtout pas alors qu’on venait de commencer ce livre tous les deux. Les hommes descendirent avec ma mère, papa ne me laissa même pas le temps de lui dire au revoir. Ma mère venait de partir et je n’avais même pas le droit de verser une seule larme.
De nos jours…
Placé à la fenêtre du bureau de Enrique, je regarde les voitures défiler devant moi. Je viens ici au moins une fois par mois, la raison principale étant pour rendre visite à mon ami et l’autre étant pour m’assurer que l’hôpital ne manque de rien. La porte du bureau s’ouvre sur Enrique, il a une mine horrible. Des cernes, ses cheveux en pagaille, il tient à peine debout sur ses deux jambes. Je marche vers la cafetière pour lui préparer une tasse de café.
“ Ça fait combien de temps que tu n’as pas dormi ? ”
“ Trois ou quatre jours. ” Me dit-il en s’asseyant sur un fauteuil. “ J’ai bien dormi vingt minutes tout à l’heure. ”
Je siffle entre mes dents et lui apporte sa tasse de café, quel être humain normal peut rester quatre jour sans dormir.
“ Je vais demander au chauffeur de te ramener, tu as besoin de sommeil. ”
“ On croirait entendre ma femme. ” Lève t’il les yeux au ciel.
Je m’assois à côté de mon ami et le regarde vider son café d’une traite. Ce poste lui en demande trop, je le vois bien.
“ Tu es venu faire ta donation annuelle, pour te donner bonne conscience ? ”
Le vent passe, un silence s’installe, mon ami et moi nous affrontons du regard, jusqu’à ce qu’il se plonge dans un dossier. Enrique est bien la seule personne qui puisse me parler comme ça. Le seul à pouvoir me dire en face des vérités que je n’ose pas accepter. Je sors mon chéquier et lui signe un chèque de très grande valeur. Il le prend et me regarde avec un air de dire tu en fais trop. Il a raison, mais c’est une manière pour moi de me prouver qu’il reste un tout petit peu d’humanité en moi.
“ Comment va le petit ? ”
L’hôpital a recueilli il y’a quelque semaine un bébé dont la mère était accro à la drogue, l’enfant l’est aussi, il se bat entre la vie et la mort.
“ Son état est stable si je peux dire ainsi. Nous avons espacer les doses de quatre heures. C’est horrible de le voir se tordre de douleur à cause du manque. Cette nouvelle drogue est un véritable poison, il faut que tu retrouves qui fabrique cette merde. ”
Enrique m’a expliqué qu’ils allaient essayer de réduire les doses au fur et à mesure pour voir comment le petit supportait le manque.
“ J’y travaille déjà Enrique et une fois que je l’aurais en face de moi, je le tuerais. ”
Une nouvelle drogue a été mise en vente, cette merde a déjà fait d’énorme dégâts. Je ne compte même plus le nombre de personnes qui sont mortes en la consommant. Il faut que je trouve celui qui la fabrique, beaucoup trop d’innocents sont morts. La drogue est la seule chose que je ne commercialise pas, par pure choix et conviction. La drogue fait beaucoup plus de mal que les armes.
“ Tu as eu beaucoup d’étudiants étrangers cette année pour le programme de stage ? ”
“ Beaucoup plus que l’année dernière, il faut croire que les étudiants sont devenus de plus en plus intelligents. ”
“ J’aimerais que tu me parles d’une en particulier. ”
Enrique lève le nez de son dossier et me regarde d’un air étrange. Comme s’il essayait de lire en moi.
“ Ça ne t’a jamais préoccupé avant, cette personne doit être particulière, son nom ? ”
“ Emma Fitzgerald. ”
Enrique se lève et va fouiller dans une armoire, il en sort un tas de dossier, puis un autre en particulier. Il le brandit comme un trophée eh revient s’asseoir près de moi.
“ Emma Fitzgerald, vingt-quatre ans américaine. Elle est major de sa promotion, son parcours jusqu’ici est impeccable, aucune mauvaise note. Rends-toi compte qu’avant qu’elle ne nous envoie son dossier, plusieurs de ses professeurs nous avait déjà écrit pour nous la recommander. ”
Le tableau que me dépeint Enrique est celui d’une étudiante brillante, quelqu’un aurait bien pu falsifier toutes ces informations. Mais qu’en est-il de sa vie privée ? Ses parents, ses origines.
“ Qui est-elle ? ”
“ La petite amie de Lucas. ”
“ Elle est très belle. ” Dit-il en regardant fixement sa photo.
“ Et dangereuse aussi, je ne sais pas qui elle est. Du moins pas encore. ”
“ Tu as peur qu’elle puisse nuire à tes affaires ? ”
“ S’il y’a le moindre risque qu’elle puisse nuire à mes affaires je la tuerai sans hésiter. La seule raison pour laquelle je la garde en vie est que mon fils s’est entiché d’elle. Je veux savoir si elle est digne de lui. ”
“ Tu ne penses pas que c’est à lui de le découvrir ? Tout seul, comme le grand garçon qu’il est. ”
“ Je vis dans un monde où la moindre petite erreur ne m’est pas permise. Je n’ai pas le temps de le laisser faire ses erreurs. Je dois protéger mon fils. ”
“ Tu le fais déjà et un peu trop à mon goût. Tu l’as gardé loin de toi pendant toutes ces années parce que tu voulsis le garder loin de tes ennemis et surtout parce que tu avais peur de devenir comme ton père, tu n’es pas ton père Sandro. ”
“ Pourquoi est-ce que tu me parles de lui à un moment pareil ? ”
“ Tu sais pourquoi ! ”
“ Je n’ai pas besoin d’une séance en ce moment docteur et encore que tu es loin d’être psychologue. Ce dont j’ai besoin c’est que tu gardes un œil sur cette fille, surveilles la. ”
“ Je ne suis pas un de tes larbins à qui tu vas donner des ordres. Je ne vais pas la surveiller parce que tu me l’ordonnes, mais parce que c’est une interne qui a besoin d’encadrement. ”
Nous nous affrontons une nouvelle fois du regard, puis je détourne les yeux. Enrique essaye de me mettre hors de moi et je déteste ça.
“ Tu peux jouer les chefs de la mafia où tu veux mais pas dans mon bureau. ”
“ Je suis désolé. ”
“ Pardon tu dis ? ”
“ Il est hors de question que je répète ça. ” Dis-je en souriant.
Enrique éclaté de rire et je lui jette un oreiller en pleine face.
“ Je vais la surveiller pour toi, parce que moi aussi je m’inquiète pour Lucas. ”
“ Merci. ”
“ Tu as des nouvelles de Petra ? ”
“ Pourquoi devrai-je avoir de ses nouvelles ? ” Dis-je en levant les yeux au ciel.
“ Elle a appelé ma femme hier, pour lui parler d’un défilé de mode à Paris. ”
“ Et en quoi c’est censé me concerner ? ”
“ C’est la mère de ton fils et je me demande comment elle réagira quand elle va rencontrer sa belle-fille. ”
Nous éclatons tous les deux de rire, moi aussi j’imagine déjà la scène que fera Petra quand elle sera de retour. Elle fera toute une scène.
“ Tu es retournée à l’orphelinat ces derniers temps ? ”
“ Non, je n’ai pas vraiment du temps pour moi ces derniers jours. ”
“ Tu manques aux enfants. ”
Je me lève et je regagne la sortie, Enrique est décidément la seule personne sur cette terre qui sache réellement qui je suis.
