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Prison dorée

4 : Prison dorée

Manchester, Angleterre

Lyndsay Kimberley Petrović D.

Concernant Alek, j’avais bien raison. Il a dû dormir ailleurs car, au petit matin, j’ai entendu des bruits de pas dans le couloir. Je me lève d’un bond, attrapant un pull en cachemire crème que j’enfile par-dessus ma nuisette. Mes cheveux sont encore légèrement humides, lâchés sur mes épaules. Pieds nus, je sors de ma chambre et m’avance lentement dans le couloir luxueux aux murs ornés de moulures dorées. L’odeur familière du whisky et de cigare me parvient avant même que je ne l’aperçoive.

Aleksandar est là. Debout dans le couloir, appuyé contre la console en marbre, une main passant distraitement sur son menton mal rasé, toujours vêtu de ses vêtements d’hier. Sa chemise noire, entrouverte, laisse entrevoir la ligne tendue de son torse, et son pantalon, légèrement froissé, trahit une nuit sans repos. Son visage est marqué par la fatigue, ses traits tirés, mais il garde cette aura imposante, ce regard de prédateur qui semble toujours contrôler la situation. Je croise les bras, appuyée contre le chambranle de la porte. Mon regard accroche le sien, provocant.

- Bonne nuit ? je demande d’un ton faussement léger, le sarcasme coulant dans chaque syllabe.

Il relève la tête vers moi, ses prunelles sombres me détaillant sans expression.

- Parfaite, répond-il avec une pointe de défi, retirant sa chemise qu’il jette nonchalamment sur une console en marbre.

Mon regard s’attarde une fraction de seconde sur la courbe de ses épaules, puis je détourne les yeux. Je retiens un rire amer. C’est donc comme ça ? Il disparaît toute la nuit et revient comme si de rien n’était ?

- Tu es au moins rentré avec la satisfaction d’avoir baisé ta frustration ailleurs ?

Je penche la tête sur le côté, mon regard perçant le sien. Un muscle tique dans sa mâchoire, mais son sourire narquois ne vacille pas.

- J’avais mieux à faire.

- Ah oui ?

Je m’avance lentement vers lui, laissant mes bras glisser le long de mon corps.

- Et quoi donc ? T’enivrer jusqu’à oublier que tu es coincé dans ce foutu mariage avec moi ?

Aleksandar ne bouge pas. Il me laisse venir jusqu’à lui, me laisse provoquer, tester ses limites. Mais je vois bien dans son regard que je joue avec le feu.

- Ne me flatte pas trop, Lindsay, murmure-t-il en baissant la tête vers moi. Ce mariage ne m’a pas ôté mon libre arbitre. Si je voulais une autre femme dans mon lit, crois-moi, tu serais la première à le savoir.

Je ris doucement, un rire sans joie.

- Bien sûr. Toi, l’homme parfait. Fidèle à sa vengeance plus qu’à son épouse.

Je recule d’un pas, haussant un sourcil.

- Alors, où étais-tu toute la nuit ?

- Pourquoi ? Ça t’intéresse ?

- Absolument pas.

- Alors ne pose pas de questions.

Sa voix est tranchante. Je devrais me taire, arrêter là, mais je ne peux pas. J’ai besoin d’une réponse, même si elle me brûle.

- J’aurais juste aimé savoir si j’étais la seule à être prisonnière ici, ou si toi aussi tu cherches à fuir cette cage dorée que tu as construite.

Aleksandar ne répond pas tout de suite. Il me fixe, un éclat indéchiffrable dans le regard, comme s’il pesait le poids de mes mots. Puis, lentement, il s’approche. Je retiens mon souffle. Son parfum, mêlé à l’alcool et à la fumée, m’enveloppe. Son ombre me domine, son aura magnétique et oppressante m’enferme. Il lève une main et, du bout des doigts, effleure une mèche de mes cheveux encore humides.

- Je ne fuis pas, Lindsay. Mais toi, tu rêves de le faire, pas vrai ?

Un frisson me traverse, mais je ne bouge pas. Je refuse de lui donner cette satisfaction. Je redresse le menton, le défiant du regard.

- Rêver n’a jamais été interdit.

Son sourire s’élargit, sombre, dangereux.

- Alors continue de rêver. Parce que dans la réalité, Lindsay… tu ne partiras jamais.

Il recule enfin, ramasse sa chemise et disparaît dans sa chambre. Moi, je reste là. Les poings serrés, partagé entre rage et quelque chose de plus insidieux. Je ne veux pas lui donner raison. Mais au fond, une part de moi sait qu’il a peut-être déjà gagné.

- Et surtout évite de penser à où il a pu être pour porter encore ces habits Lindsay, me répétais je en regagnant ma chambre.

Déjà, il semblait perturbé. Par quoi ? Ça, il ne me l'aurait pas dit. Même si je le lui demandais cela aurait été une perte de temps.

Je demande à ce que l'on me monte mon repas depuis ma chambre. Un luxe que je m’octroie rarement, mais pour une fois, Aleksandar ne m’en a pas empêchée. J'avais vraiment besoin de prendre du recul face à tout ça.

Je m’installe sur la méridienne près des immenses baies vitrées de ma chambre, mes jambes repliées sous moi, le regard perdu sur la ville de Manchester qui s’étire sous le ciel gris perle. Je tire sur le col de mon pull, me recroquevillant légèrement en attendant mon petit-déjeuner. Chaque mot échangé ce matin résonne encore dans mon esprit, comme une mélodie dissonante. Où était-il ? La question tourne dans ma tête comme une obsession. Je devrais l’ignorer, laisser couler. Mais non. Quelque chose ne colle pas. Ce n’est pas juste l’odeur d’alcool et de tabac. Ce n’est pas juste ses vêtements froissés. Il y avait cette tension dans sa posture, ce silence, ce regard plus sombre que d’ordinaire.

Un léger coup frappé à la porte me tire de mes pensées. Je redresse la tête, m’efforçant de chasser l’ombre d’Aleksandar de mon esprit. Samy entre discrètement, un plateau d’argent parfaitement dressé entre les mains. Il le dépose sur la table basse en verre fumé, sans un mot de trop. Depuis le mariage, ici, le silence est une règle d’or. C’était pourtant différent avant.

- Merci, dis-je d’un ton neutre.

Il incline légèrement la tête avant de s’éclipser. Le plateau, un service raffiné composé d’une assiette de fruits frais, des viennoiseries dorées à souhait, une tasse de café noir dont la vapeur danse dans l’air. Je porte à mes lèvres une gorgée de café brûlant, mais son amertume ne parvient pas à effacer le goût amer de ma conversation avec Aleksandar. Je repose ma tasse et me lève, croisant mes bras sur ma poitrine en fixant mon reflet dans la vitre. Une pensée me traverse l’esprit, brûlante, dévorante. S’il n’avait pas passé la nuit avec une autre femme, alors où diable était-il ? Et surtout… qu’a-t-il fait ?

Je serre les mâchoires, ma frustration grimpant en flèche. J’ai toujours su qui était cet homme que j’ai épousé. J’ai accepté d’entrer dans son monde, ce royaume de luxe et de dangers où les alliances se scellent avec du sang et où la loyauté est une denrée plus rare que l’or. Je savais qu’il n’était pas un homme ordinaire. Il ne m’a rien dit… et pourtant, il m’a tout dit. Ce mariage n’est qu’un accord de papier, une alliance forgée dans la contrainte et l’intérêt. Nous le savions dès le départ. Et pourtant, il y a des moments, furtifs, où quelque chose de plus trouble, de plus dangereux, s’installe entre nous. Comme ce matin. Comme chaque fois qu’il me regarde de cette façon, mélange de défi et de possessivité. Mais ce que je refuse, c’est d’être laissée dans l’ombre, réduite au rôle d’épouse silencieuse.

Je pousse un soupir et me lève. Direction la salle de bain attenante à ma chambre. Le sol en marbre blanc est glacé sous mes pieds, contrastant avec la chaleur de l’eau qui coule déjà du robinet. J’abandonne ma nuisette et me glisse sous la douche, laissant l’eau brûlante effacer les tensions.

Les minutes qui suivent, j’enfile un ensemble élégant : une robe en cachemire beige, cintrée à la taille par une fine ceinture en cuir Hermès. Mes cheveux sont lissés, parfaitement brillants, et je glisse à mes oreilles de fines boucles en or blanc. Un maquillage subtil, un parfum délicat, et je suis prête à affronter la journée.

En ce moment, je travaille depuis la maison. Ordre de mon cher mari. La dernière fois, j'ai cherché à fuir cette maison infernale. Et depuis, la surveillance est double. A chaque fois, j'attends que mon mari s'en aille pour commencer à bosser car j'utilise souvent son bureau. Sachant qu'il y a des caméras, je ne touche à rien.

Je suis assise dans le grand fauteuil en cuir noir de mon mari, entourée de ses objets personnels, et je sens le poids de la surveillance peser sur moi. La pièce est si calme, le silence seulement interrompu par le bourdonnement du ventilateur et le doux cliquetis de l'horloge sur le mur. Les murs sont recouverts de bois sombre et de cadres dorés qui ne laissent jamais oublier à quel point cet endroit respire le pouvoir et l’autorité.

Une notification. Attire mon attention. Un appel de ma belle-sœur.

- Coucou ma best ! Comment tu vas ?

Sa voix résonne, légère comme toujours.

- Ça va. Et toi ?

Je fais de mon mieux pour garder un ton normal.

- Moi ça va. Mais toi, on ne dirait pas. C'est quoi cette voix chargée de peine ? C'est mon frère pas vrai ?

Je reste figée, incapable de mentir.

- Dit moi ce qu'il t'a fait.

- Rien.

- Lindsay, je connais mon frère. En dépit de tout, il t'aime énormément. Néanmoins je sais que mon frère est rancunier. Alors raconte-moi tout. Et si je dois lui tirer l'oreille à ce con, je le ferai. Je sais des choses. Mais je veux que ce soit toi qui m'en parles.

Je fronce les sourcils, confuse, déstabilisée.

- Euh... je ne comprends pas, dis-je troublée. Qu'est-ce que tu sais ?

- Par exemple, je sais qui est ton frère. Tu me l'avais dit ce soir là où tu t'étais saoulé la tronche, tu t'en souviens ?

- Euh... oui, oui.

- Eh bien je sais que mon frère le sait. Alors... Qu'il t'aime à en crever ne supprimera pas ce détail.

Je me fige. Savoir qu’elle sait, qu’elle a toujours su, me fait l'effet d’une bouffée d’air frais. Je n’étais plus seule avec mon secret. C’était comme si un poids s’effondrait sur moi. Trop de mois à cacher la vérité, trop d’angoisse à garder mon masque intact. Trop longtemps j'ai supporté toute seule dans mon coin sans personne à qui en parler. Avec elle je me suis lâchée.

- J'ai toujours attendu que tu le fasses de toi même.

- J'avais peur. J'avais honte de moi-même.

- Tu n'as pas à avoir honte ma belle. Combien d'entre nous n'aurait pas fait pareil ? La famille vient avant toute chose ma best.

Elle prend un moment pour me remonter le moral. Son rire léger et sa façon de m’appeler “ma best” me réconfortent d'une manière que je n'avais pas anticipée. C’est drôle, avec elle je peux tout dire. Comme une sœur que je n’ai jamais eue. Elle finit par prendre congé de moi. De mon côté, je suis retournée bosser.

La journée file à une vitesse folle. Les heures s’égrènent, mais tout semble se mélanger, comme si le temps glissait entre mes doigts, insaisissable. Je me lève du fauteuil. J'avais besoin de quelque chose. Quelque chose de concret, quelque chose pour contre attaquer. Le cuir du fauteuil crisse sous mon poids, mes talons frappant doucement le parquet verni. Le bureau est impeccablement rangé, presque trop parfait. Alek aime le contrôle, chaque objet à sa place. J’ouvre un tiroir. Une fois de plus, je fouille sans savoir vraiment ce que je cherche.

Je m'arrête lorsque je tombe sur un dossier, bien rangé, avec un simple cachet rouge. Je l'ouvre lentement, presque hésitante. Un nom, plusieurs dates, des transactions… C'est une liste. Des noms que je reconnais, des chiffres qui m’évoquent des opérations qui m'échappent encore. Un frisson me parcourt l’échine. Le bruit de la porte qui s’ouvre me fait sursauter. Je me retourne.

Alex.

Il se tient dans l’encadrement de la porte, son regard aussi froid que la pièce. Il n’a pas bougé. Juste observé. Il porte un costume sombre, parfaitement coupé, avec une chemise blanche légèrement ouverte au col. Ses cheveux, un peu éparpillés comme s’il venait juste de les passer sous ses doigts, et ses yeux fixés sur moi, impénétrables.

- Qu’est-ce que tu fais ? me demande-t-il d’une voix basse.

Il n’a pas besoin de crier. Sa présence suffit. Je ferme brusquement le dossier, mes mains légèrement tremblantes. Le temps semble se figer. Je ne sais pas si je suis plus en colère contre moi-même ou contre lui pour m’avoir surprise.

- Rien, je… Je… Je cherchais juste un stylo, dit-je, ma voix trahissant ma confusion.

Un sourire en coin se dessine sur ses lèvres.

- Un stylo, hein ?

Il s’avance lentement, chaque pas lourd de menace, son regard toujours ancré dans le mien.

- Pourquoi tu me mens ?

Je serre les dents. Il aime ce contrôle qu’il a sur moi. Je le déteste et je le désire dans un même souffle.

- Tu sais que je déteste ça Lindsay, murmure-t-il.

Ma gorge se serre. Il tend la main, doucement, presque comme une caresse, et je sens un frisson parcourir mon corps. Il saisit le dossier que j’ai refermé précipitamment et le fait lentement glisser dans un des tiroirs du bureau qu’il referme.

- Si tu veux continuer à utiliser ce bureau, tu évites de toucher à mes affaires Lindsay.

Je hoche lentement la tête. Il finit par lâcher un soupir exaspéré, puis, sans un mot de plus, il se tourne vers la porte. Mais avant de partir, il me jette un dernier regard, un regard qui en dit long.

- Sois prudente ma très chère épouse. Car, dans ce monde, il est toujours plus facile d’être la proie quand on ne sait pas à qui on a affaire. Je ne suis pas sûr que tu aies envies de vraiment savoir ce que tu cherches.

Il quitte la pièce, et le silence retombe, lourd et suffocant. La peur que j’ai ressentie en sa présence s’est mêlée à un autre sentiment.

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