Le plan parfait
Londres, Angleterre
Wesley Curtis Donovan
Depuis l'histoire avec les globes oculaires, je dors uniquement d'un œil. De l'humour mal placé me diriez-vous ? C'est pourtant réel. Et non je n'ai pas peur de Ghost. Dans ce monde ta vie peut être menacé à chaque respiration, à chaque battement de ton cœur. Tu peux passer de la vie à trépas dans ton lit, dans ta baignoire, en prenant du bon temps ou simplement en marchant dans la rue. D'ailleurs, à ce propos, un accident est tellement très vite arrivé. Alors non, je n'ai pas peur de lui. Je ne veux tout simplement pas me faire surprendre. Le message est clair. Ghost savait pertinemment que cette fille ne représentait rien à mes yeux. Il s'en est juste servi afin de me faire comprendre qu'il avait une vue sur moi et qu'il peut se glisser dans mon lit quand il le voudrait. Message reçu alors.
Ce type-là, Ghost, c'est un homme à surveiller. S'il a été capable de m'approcher d'aussi près, c'est qu'il doit être aussi redoutable qu'on le dit. Parce que oui, pour faire un truc du genre, en dehors des ressources que cela requiert, il faut savoir porter ses couilles.
Dans la rue, on le décrit comme le kaïd à éviter. Froid et terrifiant. Il est partout. Il n'est nulle part. J'ai bien dit, c'est ainsi qu'on le décrit dans la rue. Ce n'est pas obligé d'être le cas. Et même si c'était vrai. A chaque homme ses faiblesses. Tout homme a son terminus quelques part sur cette terre. Et je compte bien trouver le sien. Qu'il ne s'inquiète surtout pas. J'ai son dossier en études. Je vais bien gérer son cas.
J'ai décidé de faire profil bas pendant un temps, histoire de bien connaître mon adversaire. La première fois j'ai commis une erreur monumentale. J'aurais pu le payer cher. On ne s'attaque pas à l'inconnu. Erreur de débutant je l'admets. Pour ma défense, je dirais que les petits du coin c'est du boulot facile habituellement. Je l’avais mis dans le lot. Ce fut là mon erreur. Je m'y préparerai pour une autre fois. Au moment venu, il sera juste surpris.
Jusqu'à lors l'identité de ce Ghost m'est inconnu. J'ai mobilisé mes hommes pour me le trouver. Ils n'ont encore rien trouvé sur lui. Rien ne presse. Je suis quelqu'un de patient. Je vais attendre alors. Si je dois me battre, ce serait sur tous les fronts. Pas question que j'y retourne à l'aveugle. Dans le business, je connais ces genres-là. Ils savent très bien protéger leur arrière. Ça ne m'étonnerait pas qu'il soit un de ces hommes avec une image impeccable quand il fait jour. Il doit être quelqu'un d'assez discret pour que même ses hommes n'aient pas grand-chose sur lui. Ce genre-là fait vraiment attention à tout. Il ne faudrait pas non plus que la police vienne fourrer son nez dans ses affaires. C'est par là que je vais commencer.
En attendant je squatte un peu chez mamie. Je n'ai pas envie de rester seul. Vaut mieux se mettre à l'abri. On ne sait jamais ce qu'il peut tenter d'autres. Et depuis ce matin, elle ne cesse de m'observer. Depuis la minute où je me suis assis à table pour manger, elle ne fait que ça. Elle ne dit rien. Elle se contente juste de m'analyser.
Je dépose ma fourchette.
- Tu peux parler mamie, tu le sais au moins ça.
Elle ne sourit même pas, son visage toujours aussi impassible.
- Quand je parle, personne ne m'écoute.
Je fronce les sourcils. C'est le même refrain, mais quelque chose dans ses mots résonne plus profondément aujourd'hui.
- Et vous vous étonnez que je ne veuille rien dire. Ça ne sert à rien de perdre mon temps. Dorénavant, j'économise ma salive.
- Oh !
- Je ne sais pas ce qu'il y a dans ta tête actuellement Donovan. Je t'observe depuis. Je vois bien que tu es inquiet. Ça fait deux semaines depuis que tu es là. D'habitude tu ne passes pas autant de temps chez moi. Alors je te dis que, peu importe ce qui te tracasse en ce moment il n'est pas éternel. Prend du recul. Change ce que tu pourras changer. Évite de rester focaliser sur des choses sur lesquelles tu n'as aucune emprise. Et puis avance. Mais s'il te plaît, sois juste prudent mon fils.
Elle m’effleure la main, son contact ferme mais rassurant. Elle n’a pas dit grand-chose, mais l’essentiel est là.
- Merci mamie, je touche sa main. Même si ça va être difficile.
Je finis de manger en silence, puis je monte dans ma chambre. J'ai rendez-vous avec Drew qui devait me fournir quelques informations sur mon viel ami Ghost. J'attrape mes clés de voiture, ma veste en cuir noir, et quitte la maison. Le froid mordant de la ville frappe mon visage. Une brume épaisse s’étend sur Londres, créant une atmosphère presque irréelle. Je le rejoins au QG. Il se trouve dans un quartier déserté, une ruelle entre deux immeubles. Arrivé là-bas, je constate qu'il m'attendait déjà dans l’ombre d’un coin du bureau. Ses cheveux épars, son visage anguleux, une cicatrice qui court le long de son menton. C’est un type qui a survécu à bien trop de choses. Je prends donc place. Ghost à nous deux.
- Alors Drew, tu as trouvé quoi sur notre viel ami ?
- Avant tout laisse-moi te dire que cela n'a pas été chose facile. Celui-là il porte bien son nom. A croire qu'il n'existe pas. Mais comme je ne baisse jamais les bras lorsque je traque une proie...
- Hmmm ! Intéressant. Alors t'as trouvé quoi ?
L’air presque morne, il glisse un cartable sur la table. Je l’ouvre y parcoure les lignes. Les documents froids, presque dépouillés, ne me satisfont pas. C’est pas assez.
- Mais il n'y a pas grand-chose Drew. Il y a juste son nom et celui d'un autre, son origine, quelques photos.
- C'est tout ce que j'ai pu recueillir comme information.
Je jette un regard à ses yeux. Il a l'air fatigué, nerveux. Je me frotte le menton.
- On ne va pas pouvoir faire grand-chose avec ces infos. Moi je voulais connaître ces habitudes, sa vie personnelle, s'il a de la famille, des personnes à qui il tient... Ses faiblesses entre autres.
Ce type, Ghost, ce n’est pas juste une histoire de pouvoir, c’est une question de contrôle. Il fait régner un silence glacial autour de lui. Un homme propre sur lui, impeccable en public, mais dont les mauvaises habitudes se glissent dans l’obscurité. Il doit avoir des faiblesses, des fissures. Il faut juste que je les trouve.
- Alors, tu vas continuer à chercher, Drew. Je veux plus que ça.
Il hoche la tête, mais je vois dans ses yeux une inquiétude qu'il ne cache pas. Moi, je suis déterminé. Ghost ne va pas m’échapper.
- Si on doit se battre sur tous les fronts, on y va.
- Nous avions pu mettre un nom et un visage pour ce Ghost c'est déjà quelques chose chef. Cela ne t'intrigue pas de savoir pourquoi tant de mystère autour de son identité ?
Je réfléchis un court instant.
- Tu as peut-être raison. Je vais me pencher sur son cas. Je dois l'évincer rapidement avant que cela ne devienne impossible. Tu peux disposer.
Drew était parti depuis un moment, me laissant seul dans l’immense salle du QG, où le silence pesait comme une chape de plomb. Je restais assis, perdu dans mes pensées, cherchant la meilleure façon de neutraliser cet homme. Le temps semblait s’étirer, chaque minute alourdissant davantage ma détermination. Finalement, je décidai qu’il était temps d’agir. Je ne pouvais plus me cacher. Cette situation exigeait une riposte méticuleusement préparée, sans la moindre faille. L’heure était venue de rappeler à Aleksandar Vuk Ivan Petrović pourquoi Londres et ses alentours étaient sous ma coupe depuis si longtemps.
La lumière vacillante d’un vieux néon projetait des ombres mouvantes sur les murs tapissés de cartes et de documents. Le grésillement constant de l’ampoule accentuait l’ambiance oppressante. Je tapotais machinalement la table en bois massif avec le bout de mon stylo, mon esprit entièrement accaparé par ce Ghost insaisissable. Un adversaire invisible est toujours plus redoutable qu’un ennemi que l’on peut affronter directement.
Je rouvris le dossier que Drew m’avait confié. Les informations étaient maigres : quelques photos prises en cachette, des silhouettes floues. Une carrure élancée, un visage dissimulé par une casquette et un hoodie. Mais parmi ces fragments épars figurait un nom : Aleksandar Vuk Ivan Petrović. Un patronyme qui résonnait comme un avertissement. Origines slaves, probablement impliqué dans des affaires de l’Est… Il traînait probablement dans des cercles aussi sombres que les miens, sinon plus. Je fixai ces éléments un moment, mes pensées s’enchaînant rapidement. Ce type ne savait pas encore à qui il avait affaire. Mais il allait bientôt découvrir pourquoi Wesley Curtis Donovan était un nom qui inspirait crainte et respect dans cette ville.
Je sortis mon téléphone et composai un numéro que je n’utilisais qu’en cas d’absolue nécessité. Après deux tonalités, une voix rauque répondit.
- Wesley. Cela fait un moment.
- Roman, j’ai besoin de toi.
- Évidemment. De quoi s’agit-il ?
- Aleksandar Petrović. Ce nom te dit quelque chose ?
Un silence, un léger grincement au bout du fil, comme s’il allumait une cigarette.
- Pas vraiment. Mais ça sonne comme un gars de Belgrade. Tu veux que je cherche ?
- Non. Juste les connexions potentielles à Londres. Trafic, réseaux, alliances. Tout ce que tu peux me trouver.
- Ça pourrait prendre un moment.
- J’ai le temps. Mais pas trop.
Je raccrochai, puis descendis au sous-sol du QG, là où mes hommes jouaient aux cartes autour d’une table ronde. L’odeur de tabac froid et de whisky bon marché remplissait la pièce. Drew était là, visiblement frustré par ma réaction mitigée au dossier. Il releva la tête en me voyant entrer.
- Chef, des nouvelles ?
- Pas encore. Mais ça ne tardera pas. Toi, en revanche, je veux que tu continues à creuser. Concentrez-vous sur ses mouvements récents. Je veux savoir où il dort, où il mange, et s’il a des amis. Surtout ça. Un homme sans attaches est une ombre, mais un homme avec des proches… devient humain.
Drew acquiesça, un sourire carnassier aux lèvres. Il savait ce que cela signifiait. La chasse était ouverte.
Quelques heures plus tard, je garai ma voiture devant un restaurant italien dans les quartiers chics de Londres. Le genre d’endroit où les affaires se concluent entre deux verres de vin hors de prix et des promesses murmurées. A ma table, un homme attendait déjà. Franco “Il Professore” Vellucci, un vieux renard de la mafia italienne. On disait qu’il avait un pied dans toutes les transactions qui comptaient dans cette ville.
- Donovan, dit-il en levant un verre à ma santé. Toujours aussi pressé, à ce que je vois.
Franco savait déjà pourquoi j’étais là, mais il voulait que je l’énonce à haute voix, comme si cela lui donnait encore plus de pouvoir sur la situation.
- Tu sais pourquoi je suis là.
- Ghost, répondit-il en souriant légèrement, comme si le simple fait de prononcer ce nom était un jeu d’esprit.
- Oui. Et je ne suis pas d’humeur à jouer.
Il posa son verre avec un calme calculé. Il avait l'air de savourer l'instant.
- Je pourrais peut-être t’aider. Mais tu sais, l’information a un prix, Wesley. Toujours.
Je le fixai, cherchant la faille dans son masque de politesse. Franco était aussi retors qu’un serpent, mais il avait ce que je voulais. Je sortis une enveloppe de ma veste et la laissai glisser sur la table. Il l’ouvrit, jeta un coup d’œil rapide à l’intérieur, puis hocha la tête.
- Bien. Ce que je sais, c’est que ton Ghost n’est pas seulement un homme. C’est une idée. Un symbole pour un réseau bien plus vaste que tu ne le penses. Il a des connexions avec l’Albanie, la Russie, l’Irlande, la Serbie, tu t’en serais douté, et même ici, dans les couloirs de Westminster. Il est dangereux, Wesley. Plus que tu ne l’imagines. A ta place, je me tiendrais loin de ce genre de personnage.
- Merci pour le conseil. Mais, ce n’est rien que je ne puisse gérer, rétorquai-je.
Franco émit un petit rire, mais il ne semblait pas s’amuser. Il l’avait vu, le danger dans mes yeux. Il savait que, dans ce monde, la réponse à une menace ne se trouvait pas dans la fuite.
- Peut-être, dit-il en inclinant la tête. Mais il a déjà fait une chose que personne d’autre n’a osé : il t’a défié sur ton propre territoire. Et crois-moi, s’il t’a montré son visage, c’est qu’il veut jouer avec toi. Méfie-toi.
Je serrai les dents. La vérité dans ses paroles me dérangeait plus que je ne voulais l’admettre. Ghost n’était pas qu’un homme à éliminer. Il était la tempête avant le calme, l'étincelle qui pourrait embraser Londres. C’était une guerre en devenir. Et dans ce monde, c’était la survie du plus impitoyable. Et je comptais bien être celui qui en sortirait vainqueur.
